Un seuil à 100 000 euros pour les marchés publics de travaux : vous en rêviez ? Le législateur l’a fait, le conseil constitutionnel l’a validé !
Relèvement temporaire du seuil à 100 000 euros pour les marchés publics de travaux
On se rappelle que, en juillet dernier, un relèvement des seuils avait déjà été pratiqué pour certains marchés spécifiques.
Désormais, en, vertu de l’article 142 de la loi ASAP les marchés publics de travaux peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence jusqu’au seuil de 100 000 euros HT, jusqu’au 31 décembre 2022 inclus.
Pendant deux ans donc les marchés publics de travaux inférieurs au seuil de 100 000 euros HT passent sous le radar, échappent au contrôle du juge.
On parle donc de nombre des opérations de travaux de communes rurales, ou de petites opérations de travaux de collectivités de taille plus importante.
Le conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire dans sa décision 2020-807 DC d’hier.
Le seul avertissement inséré par le législateur est le suivant :
« Les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».
C’est tenant compte, notamment, de cet avertissement que le conseil constitutionnel valide le dispositif :
« cette dispense n’exonère pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics rappelées à l’article L. 3 du code de la commande publique »
Mais en guise de garde-fou donc, seule une leçon de morale est incluse dans le texte, sans aucune sanction. Cela ressemble donc fort à blanc-seing.
Au-delà des aspects économique, de moralité de la vie publique, concurrentiel, qui pourraient faire peser l’opportunité de cette mesure, on peut surtout s’interroger sur sa conventionalité.
Car rappelons que :
-> Le juge administratif français applique le droit européen, qui prime sur le droit interne ;
-> Le droit européen se mêle aussi des contrats publics inférieurs aux seuils européens (CJUE, 7 décembre 2000, Telaustria, C-324/98 et CJUE, 21 juillet 2005, Coname, C-231/03).
-> les principes généraux du traité, notamment celui de non-discrimination en fonction de la nationalité impliquent le respect d’un principe de transparence, même sous les seuils.
On peut hélas fortement douter que tous les marchés publics de travaux inférieurs au seuil de 100 000 euros puissent échapper à ces principes.
Il est donc fort à parier que les acheteurs publics appliquant ce texte, en toute confiance, aient à subir quelques déconvenues en cas de contentieux, pourvu qu’un moyen tiré du droit européen soit soulevé pour le requérant…
Attention aux référés précontractuels donc !
L’intérêt général comme motif de dispense de mise en concurrence
Oui, vous avez bien lu.
L’article 131 de la loi ajoute la notion d’intérêt général, sans doute la plus large, pour ne pas dire vague, du droit administratif, aux cas de dispenses de procédure de mise en concurrence.
A première lecture, les bras en tombent. Il faut, espérons-le, attendre une clarification du pouvoir règlementaire.
Le conseil constitutionnel écarte en effet les moyens tirés de l’intelligibilité de la loi et de l’incompétence négative du législateur. C’est bien au pouvoir réglementaire d’expliciter cet intérêt général justifiant une dispense de procédure de mise en concurrence.
La rédaction de l’article L.2122-1 nouveau du CCP sera donc la suivante :
« L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d’Etat lorsque en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d’une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur ou à un motif d’intérêt général »
Espérons que ledit décret en Conseil d’État palliera la formulation très vague de la disposition législative, sans quoi on peut craindre quelques moments d’incertitude devant le juge…
En tout cas, cela annonce une nouvelle modification du code de la commande publique qui n’a pourtant pas encore fêté ses deux ans.
Dispense partielle de mise en concurrence pour choisir son avocat
Devant le juge justement : l’avocat saisi dans un contexte contentieux ou précontentieux va enfin pouvoir être choisi librement, sans mise en concurrence.
On se rappelle que, dans un élan de complexification classique, le législateur avait surtransposé la directive marchés publics : les prestations d’avocat étaient restées incluses, en 2016, dans le champ des marchés publics, alors même que la directive dispensait la représentation légale et le conseil lié de toute procédure.
Dans un chapitre de la loi consacré à la suppression de surtranspositions, cette anomalie est désormais corrigée.
Sont dispensés de mise en concurrence les prestations suivantes :
« d) Les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, devant les autorités publiques ou les institutions internationales ou dans le cadre d’un mode alternatif de règlement des conflits ;
« e) Les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation de toute procédure mentionnée au d du présent 8° ou lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l’objet d’une telle procédure »
En synthèse donc, sont dispensés de mise en concurrence les marchés portant sur la sélection d’un avocat pour :
- Le contentieux ;
- La préparation d’un contentieux ;
- Le pré-contentieux.