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Sanction disciplinaire : quelle place pour la preuve anonyme ?

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Sanction disciplinaire : quelle place pour les témoignages anonymes ?

Si l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut, en principe, se fonder sur des témoignages et autres preuves anonymes, le Conseil d’État, dans un arrêt du 5 avril 2023 (CE, 5 avril 2023, n° 463028), vient d’apporter quelques précisions.

La preuve anonyme : une preuve recevable pour infliger une sanction disciplinaire

Le principe : la preuve est libre en matière disciplinaire

En matière de sanction disciplinaire, la jurisprudence administrative est bien balisée.

Pour établir les faits à l’origine des faits, tous les moyens de preuves sont acceptés.

La preuve est libre :

« en l’absence de disposition législative contraire, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d’établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen » .

(CE, sect., 16 juill. 2014, n° 355201)

Cette liberté dans le jeu de la preuve a une limite.

L’employeur public est soumis à l’obligation de loyauté, sauf intérêt public majeur :

« que toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté ; qu’il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l’encontre de l’un de ses agents sur des pièces ou documents qu’il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie » .

(CE, sect., 16 juill. 2014, n° 355201)

La preuve libre implique la recevabilité de la preuve anonyme

Et le Conseil d’État a, d’ores et déjà, pu juger que les témoignages anonymes sont parfaitement recevables :

« En second lieu, pour juger que M. A… avait adopté un comportement inapproprié à l’égard de jeunes étudiantes, en particulier sur des réseaux sociaux, la section disciplinaire de l’université de Poitiers s’est fondée sur des témoignages non anonymes ainsi que sur des témoignages d’étudiantes recueillis de façon anonyme par la commission chargée d’instruire la plainte. En jugeant, pour écarter le moyen d’appel tiré par M. A… de l’atteinte aux droits de la défense, que la section disciplinaire avait pu, sans entacher d’irrégularité la procédure suivie devant elle, procéder à l’anonymisation de certains des témoignages produits devant elle par des étudiantes afin de les protéger de risques de représailles, le CNESER n’a entaché sa décision ni d’insuffisance de motivation ni d’erreur de droit, dès lors que l’ensemble des pièces et témoignages ainsi anonymisés ont été soumis au débat contradictoire et que leur teneur était confortée par des éléments non anonymisés versés au dossier » .

(CE, 9 octobre 2020, n° 425459)

Attention, si effectivement, dans cet arrêt de 2020, le conseil d’État a admis les témoignages anonymes, c’est sous réserve de la réunion de deux conditions :

  • – l’ensemble des pièces et témoignages anonymisés ont été soumis au débat contradictoire ;

  • – la teneur des témoignages anonymisés était confortée par des éléments non anonymisés versés au dossier.


Autrement dit, il ne peut pas être dégagé de cet arrêt un principe général de recevabilité de la preuve anonyme pour fonder une action disciplinaire contre un agent.

En effet, dans cette affaire, les témoignages anonymisés dans l’intérêt des victimes étaient confortés par d’autres éléments du dossier, quant à eux, non anonymisés.

En tout état de cause, le Conseil d’État vient rappeler, dans un arrêt récent, la recevabilité de la preuve anonyme pour infliger une sanction administrative :

« L’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut légalement infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu’elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice » .

(CE, 5 avril 2023, n° 463028)

Ainsi, l’employeur public peut s’appuyer sur une preuve anonyme pour infliger une sanction disciplinaire.

Attention, pour garantir les droits et intérêts de l’agent public ainsi sanctionné, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions.

L’impossibilité de recourir uniquement et exclusivement à des preuves anonymes.

Si oui, la preuve anonyme est admissible, le Conseil d’État ajoute que la sanction disciplinaire ne peut pas s’appuyer exclusivement sur des preuves anonymes :

« Après avoir relevé que Pôle Emploi s’est exclusivement fondé sur des témoignages qui émaneraient d’agents qui auraient participé à la session de formation, rapportant des propos qui auraient alors été tenus, ces témoignages ayant été anonymisés et ne permettant ainsi pas d’identifier leurs auteurs, ainsi que sur une synthèse, également anonymisée et dont l’auteur reste ainsi inconnu, rapportant des propos qui auraient été tenus à l’occasion d’une enquête téléphonique avec des agents dont l’identité n’est pas davantage précisée et qui ont refusé de confirmer leurs propos par écrit, la cour a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les éléments anonymisés produits ne suffisaient pas à apporter la preuve de la réalité des faits contestée par l’intéressée. Elle n’a ce faisant pas commis d’erreur de droit ». 

(CE, 5 avril 2023, n° 463028)

La sanction disciplinaire ne peut, donc, pas uniquement reposer sur des preuves, témoignages anonymes.

Ainsi, dans l’hypothèse, assez évidente en contentieux, où l’agent sanctionné « conteste l’authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu », la charge de la preuve pèsera sur l’employeur public.

L’autorité à l’origine de la sanction devra, par conséquent, « produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu’elle allègue et tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages ».

Même si en vertu de ses pouvoirs d’instruction, le juge administratif peut toujours ordonner toutes mesures d’instruction utiles, en pratique, le juge administratif use rarement de ce pouvoir.

En tout état de cause, en l’absence d’éléments complémentaires permettant de corroborer la réalité des faits évoqués dans les témoignages anonymes, la sanction sera annulée.

En pratique, notre conseil est évidement de recourir à toutes formes de preuve et de ne surtout pas se limiter à des preuves anonymes. En effet, cela génère un risque et la sanction sera, à coup sûr, annulée, dans le cas où le juge administratif viendrait à être saisi.

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