Même si, aujourd’hui, l’obligation de publicité et de mise en concurrence des autorisations d’occupation temporaire du domaine public et ses exceptions L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques sont bien intégrées dans notre paysage juridique, par deux arrêts du 2 décembre 2022, le Conseil d’État est venu éclairer l’obligation de mise en concurrence des autorisations d’occupation du domaine des personnes publiques en vue de l’exploitation d’une activité économique.
Spoiler alert : domaine public et domaine privé ne sont pas logés à la même enseigne.
L’obligation de prévoir une procédure de mise en concurrence pour l’octroi d’une autorisation d’occupation du domaine public
Une obligation de mise en concurrence qui découle de l’exploitation d’une activité économique
Au sens de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence doit être mise en œuvre dès lors que le titre d’occupation est accordé en vue l’exploitation d’une activité économique.Autrement dit, aux termes des dispositions de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété publique, et sauf exceptions ou dérogations prévues aux articles L. 2122-1-2, -3 et -3-1 du code général de la propriété publique, c’est bien l’identification d’une activité économique projetée sur le domaine public qui commande la mise en œuvre d’une mise en concurrence préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence.
L’indifférence de la qualité de l’occupant du domaine public exploitant une activité économique
En pratique cette obligation de mise en concurrence interpelle lorsqu’il est, par exemple, question de mettre à disposition, pendant quelques années, des terrains de sport ou autres locaux à des associations loi 1901.
Ces associations sont, certes, dépourvues de but lucratif mais elles peuvent, et c’est souvent le cas, exercer des activités économiques.
Or, il convient de souligner que le code général de la propriété des personnes publiques ne prévoit aucune exception s’agissant de tel associations ou autres organismes similaires.
A noter qu’est seulement prévue la possibilité de délivrer gratuitement un titre d’occupation du domaine public aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général (article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publics).
Mais ce n’est pas le sujet ici !
La confirmation de l’obligation générale de mise en concurrence pour l’exploitation économique d’une dépendance du domaine public
Ainsi, dans un arrêt du 2 décembre 2022 (n° 455033), le Conseil d’État a statué sur la question de savoir si l’autorisation portant occupation d’une partie des dépendances domaniales du Sénat pour y exploiter six courts de tennis devait être soumise à une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence.
La particularité de cette affaire résulte, notamment, du fait que le contrat d’occupation avait été conclu le 12 janvier 2016, autrement dit à un moment où les dispositions de l’article L. 2122-1-1 code général de la propriété des personnes publiques n’étaient pas encore applicables, puisque ces dispositions ne sont entrées en vigueur qu’au 1er juillet 2017.
Pour autant, le Conseil d’État considère que cette activité relève de la directive service 2006/123/CE du 12 décembre 2006, car, en synthèse :
- – le contrat porte sur l’exploitation de cours de tennis qui constituent une activité de service au sens de ladite directive ;
- – le Sénat, propriétaire du domaine public, constitue une autorité de contrôle ou de réglementation pour l’exploitation des cours de tennis.
Après avoir caractérisé l’avantage évident et faiblement substituable accordé à l’exploitant de ces dépendances et terrains de tennis en raison tant de leur nombre limité, leur localisation particulière et leur notoriété, le Conseil d’État a jugé que l’attribution d’un titre d’occupation de ses dépendances domaniales pour y exploiter six courts de tennis devait respecter une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence.
Dans la mesure où ce ne fut pas le cas, le Conseil d’État a résilié le contrat portant occupation du domaine public, confirmant la fin de la jurisprudence Jean Bouin.
Mais compte tenu des conséquences de cette résiliation pour son bénéficiaire, cette résiliation ne prendra effet qu’à compter du 1er mars 2023.
Quels retentissements pour cet arrêt du Conseil d’État ?
Le Conseil d’État confirme que l’obligation de mise en concurrence des titres d’occupation du domaine public s’étend à toutes les activités économiques exercées sur les dépendances du domaine public des personnes publiques quelle que soit la qualité de l’exploitant.
Bien évidemment, cette obligation générale et de principe connaît de nombreuses exceptions et dérogations.
Il n’en demeure pas moins que la mise en concurrence des autorisations d’occupation du domaine public doit, aujourd’hui, être un véritable réflexe pour les personnes publiques, puisque la mise en concurrence des titres d’occupation du domaine public ne dépend ni de la personne publique propriétaire dudit domaine ni de la nature juridique de l’occupant.
L’absence d’obligation de prévoir une procédure de mise en concurrence pour l’octroi d’une autorisation d’occupation du domaine privé
Et oui, ce 2 décembre 2022, le Conseil d’État a, également, tranché cette question dont la réponse, depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques et surtout de l’arrêt Promoimpresa (CJUE, 14 juillet 2016, C-458/14 et C-67/15), restait incertaine (CE, 2 décembre 2022, n° 460100).
Un contexte juridique hautement contradictoire sur l’obligation ou non de mise en concurrence des autorisations d’occupation du domaine privé des personnes publiques en vue de l’exploitation d’une activité économique
La position du gouvernement : il faut respecter une procédure de sélection préalable transparente et impartiale
En effet, la doctrine gouvernementale plaide en faveur du respect d’une procédure de sélection préalable et transparente :
- – « la délivrance de titres sur le domaine privé doit garantir dans les mêmes termes le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Ainsi, les autorités gestionnaires du domaine privé doivent donc mettre en oeuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques » (réponse ministérielle du 29 janvier 2019 à une question écrite n°12868 du député Jean-Luc Fugit).
- – « l’application de l’article L. 2221-1 du CG3P, en vertu duquel les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables, et qui fait référence au second alinéa de l’article 537 du code civil, doit nécessairement être combinée avec les règles issues du droit de l’Union européenne. Cette application doit donc se faire dans le respect des principes de transparence édictés par la jurisprudence européenne » (réponse ministérielle du 12 novembre 2020).
Une position ambivalente des juridictions sur l’obligation de mise en œuvre d’une telle procédure de mise en concurrence
Les juridictions administratives
Les juridictions administratives excluent toute obligation de suivre une procédure préalable de sélection transparente (CAA Nancy, 21 octobre 2021, n° 20NC00365 ou encore CAA Bordeaux, 2 novembre 2021, n° 19BX03590).
Les juridictions judiciaires
Le juge judiciaire a pu admettre que :
« la plupart des états de l’Union Européenne ignorant la distinction opérée en France entre domaine public et domaine privé, on doit considérer que les principes posés par la directive « Service » et par la justice européenne s’appliquent au domaine privé » (TJ Le Mans, 19 août 2021, n° 20/00813).
Il en déduit l’obligation de mettre en œuvre une procédure préalable de mise en concurrence.
L’incertitude juridique était hautement problématique, de sorte qu’une intervention du Conseil d’État était attendue.
Le Conseil d’État siffle la fin de la récréation : aucune mise en concurrence pour les autorisations d’occupation du domaine privé des personnes publiques
Dans ce second arrêt du 2 décembre 2022, le Conseil d’État confirme, donc, l’absence d’obligation de publicité et de mise en concurrence pour les titres d’occupation du domaine privé des personnes publiques en vue de l’exploitation d’une activité économique :
« Si les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques cité ci-dessus, impliquent des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15), il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive. Il suit de là qu’en n’imposant pas d’obligations de publicité et mise en concurrence à cette catégorie d’actes, l’Etat ne saurait être regardé comme n’ayant pas pris les mesures de transposition nécessaires de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 ». (CE, 2 décembre 2022, n° 460100).
Est-ce que cette solution du Conseil d’État est tenable ?
Cette position du Conseil d’État ne convainc pas totalement.
Et pour cause, la Cour de justice de l’Union Européenne, dans son arrêt Promoimpesa, justement visé par le Conseil d’État, n’opère pas clairement de distinction entre domaine public et domaine privé.
Si les faits portaient sur une concession sur le domaine maritime et lacustre, qualifié de domaine public maritime selon la législation italienne en cause, la Cour reste toujours distante de cette notion de domaine public, se focalisant sur la concession domaniale en vue de l’exploitation d’une activité économique.
Et l’exploitation économique soumet, in fine, la concession domaniale aux dispositions de l’article 49 TFUE, de sorte que leur attribution doit respecter une procédure préalable de sélection transparente et impartiale.
Affaire à suivre donc !
Et pour plus de détails en matière d’occupations domaniales, retrouvez nos articles :
=> Mise en concurrence de l’occupation du domaine public : quelles obligations ?