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La gestion du domaine privé des collectivités locales : obligation de mise en concurrence des autorisations d’occupation du domaine privé ?

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Comment contester la procédure d’attribution d’une convention d’occupation du domaine public ?

Si le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) définit les conditions de délivrance de certains titres d’occupation du domaine public, qu’en est-il des autorisations d’occupation du domaine privé ? Une procédure de mise en concurrence doit-elle être respectée ?

Nous vous l’indiquions dans notre article relatif à la mise en concurrence de l’occupation du domaine public, en l’état, l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017relative à la propriété des personnes publiques, codifiée dans le CG3P, précise uniquement les conditions dans lesquelles la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public est soumise à une procédure de sélection préalable des candidats potentiels.

Ni les textes, ni la jurisprudence nationale n’imposent aux personnes publiques, s’agissant de la gestion de leur domaine privé, le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement s’appliquent. 

Dès lors, une réponse ministérielle récente apporte à nouveau quelques éclaircissements sur cette problématique de mise en concurrence des autorisations d’occupation du domaine privé et son lot de doutes.

La transposition des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques au cas de la gestion du domaine privé des personnes publiques

S’appuyant sur la jurisprudence européenne (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa, C-458/14 et C-67/15), une réponse ministérielle du 29 janvier 2019 à une question écrite n°12868 du député Jean-Luc Fugit indique que les principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement s’appliquent. 

Une préconisation conforme à l’esprit du droit européen

Pour imposer le respect des principes d’impartialité et de transparence, la Cour de justice de l’Union Européenne se fonde sur le fait que l’autorisation administrative permet l’exercice d’une activité économique, peu importe la qualification nationale donnée au bien occupé. 

L’obligation de respecter les principes d’impartialité et de transparence résulte, donc, exclusivement de la possibilité donnée d’exercer une activité économique.

Et, encore récemment, dans une réponse ministérielle du 12 novembre 2020, il est rappelé que le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats doit être garanti par les autorités gestionnaires dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du CG3P.

Le ministère prône, donc, une transposition pure et simple des dispositions des articles L. 2122-1-1 et suivants du CG3P aux domaines privés des personnes publiques. 

Il s’agira pour les personnes publiques d’opérer, sous le contrôle du juge, une juste conciliation entre, d’une part, le principe de libre gestion de leur domaine privé (article L. 2221-1 du CG3P) et, d’autre part, les principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement.

S’agissant d’un renvoi au CG3P, il faut se reporter à notre étude sur la mise en concurrence de l’occupation du domaine public pour analyser les modalités de mise en œuvre des dispositions du CG3P. 

En tout état de cause, si aujourd’hui, le contentieux de la mise en concurrence des titres d’occupation du domaine privé des personnes publiques est peu prolifique, il est certain que le juge judiciaire ne va pas tarder à se saisir de cette question, permettant d’éclairer un pan du droit de la propriété des personnes publiques encore en construction.

Une contrainte supplémentaire pour le gestionnaire du domaine privé

D’un point de vue théorique, cette préconisation ne surprend guère, 

Pour autant, d’un point de vue pratique, les praticiens du droit que nous sommes peuvent s’interroger sur la réelle possibilité de respecter scrupuleusement les principes de libre concurrence lors de la gestion du domaine privé des personnes publiques.

Par exemple, est-ce que le recours à un contrat de droit privé, comme le bail commercial, permet de préserver la libre concurrence ? 

Un tel contrat repose, notamment, sur le droit au renouvellement qui, par définition, est peu compatible avec la libre concurrence. C’est justement pour cela que le CG3P prévoit que les autorisations d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique son accordé pour une durée qui ne peut avoir pour effet de restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis (article L.2122-2 du CG3P).

En tout état de cause, ce renvoi revient, en fin de compte, à faire peser sur les personnes publiques, dans le cadre de leur gestion de leur domaine privé, des contraintes inexistantes pour les personnes privées.

Il ne reste plus qu’à attendre l’intervention du juge pour rééquilibrer les relations, afin que les personnes publiques, dans leur volonté de valoriser et rentabiliser leur domaine ne se retrouvent pas défavorisées par rapport aux personnes privées.

Ce qui est vrai pour les autorisations d’occupation du domaine public, l’est encore plus ici

Ce flou juridique nécessite une analyse fine de la situation de l’autorisation d’occupation du domaine privé d’une personne publique, pour déterminer la nécessité de suivre une procédure de passation spécifique pour garantir le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement.

L’analyse est d’autant plus fine que la jurisprudence balbutie encore.

Ainsi, dans un arrêt du 2 novembre 2021, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a pu considérer que la conclusion d’un bail emphytéotique sur le domaine privé n’était pas soumise à une procédure de mise en concurrence visée à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Et plus encore, la Cour a estimé qu’en l’espèce les dispositions de la directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006 ne s’appliquait pas (voir également en ce sens CAA Nancy, 21 octobre 2021, n° 20NC00365).

Cette position est évidemment discutable et nous avons l’intime conviction que l’état du droit évoluera … mais quand ?

Pour l’instant, ce n’est pas pour tout de suite.

Le Conseil d’Etat vient de confirmer la solution de la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Dans un arrêt du 2 décembre 2022, le Conseil d’Etat juge que l’obligation de publicité et de mise en concurrence ne s’applique pas pour les titre d’occupation du domaine privé même lorsque le titre vaut exercice d’une activité économique (CE, 2 décembre 2022, n° 460100) :

« Tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires. Si les dispositions de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, transposées à l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques cité ci-dessus, impliquent des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15), il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive. Il suit de là qu’en n’imposant pas d’obligations de publicité et mise en concurrence à cette catégorie d’actes, l’Etat ne saurait être regardé comme n’ayant pas pris les mesures de transposition nécessaires de l’article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que la conclusion du bail en litige méconnaîtrait cette directive, la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce, n’a pas commis d’erreur de droit.« 

Statu quo, donc, devant les juridictions administratives en attente d’un revirement ou de précisions venant du législateur ou de la Cour de justice de l’Union européenne.

Attention aux exceptions légales

En effet, dans une réponse ministérielle, il est rappelé ce nouveau contexte jurisprudentiel de sorte qu’il en est, logiquement, déduit que les baux relatifs à une activité agricole sur le domaine privé des personnes publiques ne sont pas soumis à une procédure de publicité et de sélection préalables.

Attention, aux exceptions légales car, par exemple, les dispositions de l’article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, instituent un droit de priorité aux jeunes agriculteurs qui réalisent une installation et subsidiairement, aux exploitants de la commune répondant à certaines conditions de capacité professionnelle et de superficie.

Dans ces conditions, la conclusion du fermage devra être précédée d’une publicité préalable de la mise en location des terrains (Réponse du Ministère auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité, publiée dans le JO Sénat du 30 mars 2023 – page 2177).

Il est certain que le sujet n’est pas aussi simple qui n’y paraît.

Même sur le domaine privé des personnes publiques, il convient d’être prudent et vigilant.

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