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La suspension d’une décision de préemption d’une commune

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immeuble à vendre

Notre client avait signé un compromis de vente pour l’acquisition d’un bien en vue de l’implantation d’une pharmacie.

Le notaire de notre client a alors, reçu le retour de la déclaration d’intention d’aliéner communiquée à la Commune, indiquant, en pied de page, une préemption de la part de la Commune.

Dès réception de cette information, deux éléments ont interpelé notre client :

  • le projet d’acquisition du bien en vue de l’implantation d’une pharmacie n’avait pas été exposé aux membres du Conseil municipal, en méconnaissance, donc, de l’obligation d’information des conseillers municipaux (article L. 2121-13 du CGCT).
  • la décision de préemption reposait prétendument, mais sans aucun élément concret,  sur l’installation d’un pharmacien, selon la délibération de la Commune.

Notre client nous a, alors, saisis avec pour objectif d’obtenir l’annulation de la décision de préemption.

De l’issue de notre mission dépendait, pour notre client, l’issue de son projet d’implantation d’une pharmacie.

Identifier une stratégie pour bloquer la préemption

La décision de préemption est un acte administratif, susceptible d’être soumis au contrôle du juge administratif.

Ainsi, la piste évidente pour obtenir l’annulation d’une décision de préemption est d’introduire un recours pour excès de pouvoir.

Cette action conforme à la volonté du client présente néanmoins deux écueils majeurs :

-> une décision d’annulation susceptible d’être obtenue dans un délai de 12 à 18 mois était clairement incompatible avec le projet d’acquisition de notre client ;

-> le recours pour excès de pouvoir n’est pas suspensif.

Traduction : la commune peut toujours poursuivre la préemption et acquérir le bien le temps que le juge administratif se prononce sur la légalité de la décision de préemption.

Dès lors, si la décision de préemption est illégale et, donc, annulée, la personne publique doit proposer l’acquisition du bien en priorité aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel ou, en cas de renonciation de leur part, à l’acquéreur évincé (article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme).

Sur ce point, le Tribunal des conflits a jugé que lorsque la juridiction administrative a annulé une décision de préemption d’un bien :

« il appartient au juge judiciaire, en cas de non-respect, par le titulaire du droit de préemption de son obligation de proposer l’acquisition du bien à l’ancien propriétaire, puis, le cas échéant, à l’acquéreur évincé, de connaître des actions indemnitaires que l’un et l’autre sont susceptibles d’engager et que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur une action en nullité du contrat de vente par lequel la personne détentrice du droit de préemption est devenue propriétaire du bien ».

Et, toujours dans la même décision, même si le juge judiciaire est compétent pour fixer le prix en vertu du code de l’urbanisme, 

« il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou l’acquéreur évincé, d’exercer les pouvoirs qu’il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de la justice administrative afin d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, de la décision de préemption » (Tribunal des conflits, 12 juin 2017, SNC Foncière Mahdia c/ OPH Paris Habitat, n° 4085).

Il s’agit donc d’une voie semée d’embuches que nous déconseillons tant cela conduit à une longue procédure judiciaire devant le juge administratif, dans un premier temps, puis, le cas échéant, le juge judiciaire, dans un second temps.

Ce temps judiciaire est incompatible avec un projet d’acquisition en vue d’une opération immobilière.

Le référé suspension : la procédure pertinente, en l’espèce, pour obtenir rapidement la suspension de la décision de préemption de la commune

Au regard des intérêts en présence, la procédure la plus efficiente en pareille situation est le référé suspension de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative.

En lui-même, le référé ne permet pas au juge administratif de statuer au fond pour constater l’illégalité de la décision de préemption et prononcer son annulation. Mais il présente l’avantage majeur d’aboutir à la suspension dans des délais très brefs. Cette suspension perdure le temps que le juge du fond se prononce, donc, sur la légalité de la décision de préemption.

La recevabilité du référé suspension est tributaire de deux conditions :

– l’urgence à suspendre ;

– l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée.

La caractérisation de l’urgence pour la suspension de la décision de préemption de la commune

Dans le cas d’une décision de préemption, l’âge ou la situation financière du requérant sont des éléments qui permettent de caractériser l’urgence (CE, 14 février 2014, Communauté d’agglomération d’Annemasse-les Voirons-Agglomération, n°368220).

Plus particulièrement, en ce qui est de l’acquéreur évincé, la jurisprudence reconnaît une présomption d’urgence à suspendre la décision de préemption (CE, 13 novembre 2013, Hourdin, n°248851).

Notre client étant, en l’espèce, un acquéreur évincé, la condition d’urgence ne pouvait être utilement contestée.

Le juge des référés du Tribunal administratif de Melun souligne, sans surprise, que notre client « bénéficie, en sa qualité d’acquéreur évincé, d’une présomption d’urgence, à l’encontre de laquelle la commune n’invoque aucune circonstance particulière ».

La condition d’urgence remplie, restait à convaincre le juge des référés de l’existence d’un doute sérieux quant à la décision de préemption.

Le doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption de la commune

En l’espèce, reprenant notre raisonnement, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a confirmé, dans son ordonnance, l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption.

En effet, en méconnaissance flagrante des dispositions de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme, la commune n’avait pas notifié au notaire, dans le délai de deux mois, sa décision de préemption.

De jurisprudence constante, cette obligation de notification au notaire, dans ce délai de deux mois, constitue une condition de légalité de la décision de préemption (CAA Paris, 13 décembre 2018, Société France Immo c/ Ville de Paris, n°18PA00245).

Et le juge des référés du tribunal administratif de Melun confirme que la décision de préemption est entachée d’un doute sérieux quant à sa légalité.

Ce que nous avons obtenu : la suspension de la décision de préemption de la commune (voir la décision)

Eu égard aux conséquences attachées à la décision de préemption, l’ordonnance du juge des référés a fait droit à nos demandes et a conclu à la nécessaire suspension de la décision de préemption de la commune.

En effet, compte tenu du transfert de propriété intervenu à la date de l’exercice du droit de préemption, elle permet à la commune de disposer du bien ainsi acquis et peut la conduire à en user dans des conditions qui rendraient cette décision irréversible. 

En prime, la commune est condamnée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à verser 1 500 euros à notre client.

La suspension ne vaut pas annulation

La suspension ne vaut pas annulation mais, en obtenant la suspension de la décision de préemption, nous empêchons, in fine, la commune de procéder au transfert de propriété.

Ce statu quo préserve les intérêts de notre client qui peut toujours, dans ces conditions, envisager son projet, puisque l’action municipale est bloquée.

Gare aux chausse-trapes en droit de la préemption

Au même titre que le droit de l’expropriation, le droit de la préemption exige le respect d’un formalisme à la fois précis et rigoureux.

Tout manquement formel affecte la régularité de la procédure et, ainsi, peut engendre des annulations en cascades des différentes décisions prises sur le fondement de l’acte initial illégal.

C’est pour cela que nous ne conseillons toujours de bien se faire accompagner dès lors qu’on entend mettre en œuvre son droit de préemption ou qu’on est destinataire d’une décision municipale de préemption.

Car comme nous l’avons démontré dans ce dossier, le premier risque qui pèse sur la légalité d’une décision de préemption résulte directement d’un manquement au formalisme procédural.

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