Une nouvelle actualité du droit de la commande publique, plus particulièrement, les modalités de mise en oeuvre du recours en contestation de validité du contrat en matière d’accord-cadres (CE avis, 24 novembre 2023, n° 474108).
Le recours en contestation de validité du contrat : brefs rappels
Ce recours est aujourd’hui bien connu et reconnu.
Le principe du recours en contestation de validé du contrat
Initialement apparu avec l’arrêt Tropic Travaux signalisation, il a été étendu aux tiers par le non moins fameux arrêt Département du Tarn et Garonne.
En effet, pour rappel, l’intérêt de la jurisprudence « Tarn et Garonne » est d’avoir, notamment, simplifié les recours contre les actes contractuels et l’action contentieuse contre le contrat ne dépend plus de la qualité du demandeur :
« Considérant qu’indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ; que les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ».
(CE, Assemblée, 04 avril 2014, n° 358994).
La jurisprudence « Tarn et Garonne » a, donc, ouvert un recours au tiers susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon directe et certaine par le contrat ou sa passation. Sans considération de sa qualité, il dispose d’une action contentieuse spécifique permettant de contester la validité du contrat administratif ou de certaines de ses clauses.
Un recours en contestation de validité du contrat bien ancré mais objet constant de précisions
Ainsi, nous avions déjà évoqué ici que, par un arrêt du 9 juin 2021, le Conseil d’Etat avait admis que même dans le cas où il n’était pas saisi de conclusions tendant à l’annulation du contrat, le juge du contrat pouvait prononcer d’office une telle annulation du contrat, sous réserve, bien évidemment, que les conditions soient remplies (CE, 9 juin 2021, n° 438047 et pour plus de précisions, voir notre article sur ce sujet ici).
Dans la lignée, encore récemment, le Conseil d’Etat a apporte une utile précision quand au délai applicable à ce recours.
Il ressort de la jurisprudence « Tarn et Garonne » que :
« ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ».
Et le Conseil d’Etat a combiné ce recours avec le considérant de principe de l’arrêt Czabaj :
« En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, après avoir constaté par des motifs non contestés que le délai de deux mois n’était pas opposable au recours en contestation de la validité du contrat formé par la société Seateam aviation, concurrente évincée, devant le tribunal administratif de Toulon le 15 août 2015 en l’absence de publicité suffisante des modalités de consultation du contrat, que ce recours était néanmoins tardif pour avoir été introduit au-delà d’un délai d’un an à compter de la publication au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le 9 octobre 2010, d’un avis d’attribution du contrat qui indiquait sa conclusion, c’est-à-dire son objet et l’identité des parties contractantes, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit » .
(CE, 19 juillet 2023, n° 465308).
A noter que cette czabajisation du délai de recours en contestation de la validité du contrat a, initialement, été consacrée par des Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel (en ce sens : TA Lille, 15 octobre 2019, n° 1706673 également en ce sens CAA Marseille, 25 avril 2022, n° 19MA05387).
Et dans tout cela, accord-cadres et recours en contestation de validité du contrat ?
Aux termes de l’article L. 2125-1 du code de la commande publique, l’accord-cadre permet à l’acheteur public de présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de conclure un contrat établissant tout ou partie des règles relatives aux commandes à passer au cours d’une période donnée.
Ainsi, dans son avis le Conseil d’Etat identifie et distingue deux hypothèses.
D’une part, lorsqu’un accord-cadre est conclu avec plusieurs opérateurs économiques, chacun de ses titulaires doit être regardé, pour l’exercice de l’action en contestation de la validité du contrat, comme un tiers à cet accord en tant que celui-ci a été conclu avec les autres opérateurs.
Et, conformément à son office, le juge du contrat pourra prononcer, si les conditions de recevabilité sont réunies :
- – la résiliation de l’accord cadre ;
- – l’annulation de l’accord cadre (CE avis, 24 novembre 2023, n° 474108).
En revanche, d’autre part, saisi de conclusions contestant la validité de l’accord-cadre en tant qu’il a été conclu avec certains opérateurs économiques, alors dans cette hypothèse, pour le Conseil d’Etat, le juge du contrat ne peut prononcer la résiliation ou l’annulation de l’accord-cadre dans son ensemble (CE avis, 24 novembre 2023, n° 474108).
Dans cette hypothèse, bien évidemment, sont visés les cas où les irrégularités affectent uniquement la candidature ou l’offre d’un ou plusieurs titulaires de l’accord-cadre.
Il ne s’agit pas d’identifier des vices affectant directement l’accord-cadre ou la procédure de publicité et de mise en concurrence.