Elu local entrepreneur et marché public local : ces termes peuvent-ils faire bon ménage ?
La question se pose fréquemment, quels que soient les marchés publics, quelle que soit la taille de la ville, rares étant les élus pouvant consacrer l’intégralité de leur temps à leur mandat électoral.
Le risque pénal : délit de favoritisme et prise illégale d’intérêt
Le risque pénal est double pour les élus à l’occasion de la passation des marchés publics, concessions et délégations de service public de la ville.
Le délit de favoritisme
L’article 432-14 du code pénal punit le délit de favoritisme de deux ans d’emprisonnement et 200 000 euros d’amende (amende pouvant être portée au double du produit tiré de l’infraction).
Le code pénal ratisse large, puisque sont concernés :
-> les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public ;
-> les élus ;
-> les administrateurs ou agents de l’État, des collectivités, établissements publics, SEM.
Le délit est constitué lorsque, à l’occasion de la procédure de passation d’un marché public ou d’une concession, d’une délégation de service public, une de ces personnes a procuré un avantage injustifié à une entreprise. Cet avantage injustifié doit être procuré par un acte contraire aux règles garantissant la liberté d’accès aux marchés publics et concessions (dont les délégation de service public) et l’égalité des candidats à l’attribution de ces marchés publics et autres contrats.
Pour revenir à notre élu entrepreneur, imaginons : les services repèrent des fissures dans l’école communale, qui existent depuis de nombreux mois mais qui, au mois d’août créent désormais des infiltrations.
Une seule entreprise est implantée dans la ville et se trouve disposée à faire les travaux en si peu de temps durant le mois d’août, considérant l’intérêt de la ville : celle de l’élu.
Le maire de cette ville peut, sans penser à mal, dans l’intérêt communal, décider de confier la réalisation des travaux à l’entreprise de son élu sans procédure de passation, considérant l’urgence provoquée par la rentrée imminente.
C’est donc un marché public de travaux qui est conclu sans procédure de passation.
Le délit de favoritisme pourrait être qualifié.
Le délit de prise illégale d’intérêt
Le délit de prise illégale d’intérêt est défini à l’article 432-12 du code pénal.
Ce délit est constitué lorsqu’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif a un intérêt dans une opération qu’elle surveille, administre ou paie dans le cadre de ses fonctions.
Application concrète et simple : je suis élu, j’interviens d’une façon ou d’une autre dans la passation des marchés publics et l’un de ces marchés publics est attribué à mon entreprise.
Exception notable à ce délit, prévue par le même texte : dans les communes de 3 500 habitants maximum, certains élus peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour la fourniture de services, dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros.
Attention, l’intérêt de l’élu peut n’être que moral. Ainsi l’attribution d’un marché public de service ou travaux à la société d’un enfant de l’élu ou de son conjoint par exemple créé également un risque pénal (Cass., Crim., 9 février 2005, n°03-85697).
Concrètement comment éviter le risque pénal pour l’élu local entrepreneur ?
Pour écarter le risque de délit de favoritisme, la solution n’est pas si simple. Il faut analyser, au cas par cas, si la conclusion d’un marché public ou d’une concession sans mise en concurrence est justifiée.
Il faut donc vérifier systématiquement s’il existe une « urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures ». Il doit s’agir d’une urgence que la ville ne « pouvait pas prévoir ». Il faut enfin que cette urgence l’empêche « de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées », pour reprendre l’exemple de l’urgence cité plus haut, prévu à l’article R-2122-1 du code de la commande publique (CCP).
Écarter le risque de prise illégale d’intérêt
La solution draconienne serait évidemment, pour les collectivités, de ne jamais attribuer un marché public à une entreprise détenue par un élu, d’écarter systématiquement les offres concernées.
Draconienne mais aussi illégale, car on ne peut pas biaiser l’analyse des offres pour écarter l’entreprise de la personne intéressée de la procédure de passation de chacun des marchés publics passés par la collectivité.
Les services des collectivités ne peuvent pas non plus refuser d’analyser l’offre d’un candidat à l’attribution d’un marché public alors qu’une solution moins attentatoire à la liberté d’accès à la commande publique est possible.
C’est ainsi que l’article L.2141-10 du CCP prévoit qu’on peut exclure de la procédure une personne créant une situation de conflit d’intérêt si et seulement si on ne peut y remédier par d’autres moyens.
Nos conseils pour les collectivités et leurs élus lors de la passation de leurs marchés :
-> le conseiller dit intéressé doit s’abstenir de prendre part au vote des marchés publics ou concessions à l’attribution desquels son entreprise candidate ;
-> il est également prudent pour lui de sortir de la salle lors des débats et du vote et de faire noter cette abstention et cette sortie dans la délibération ;
-> ne prendre aucune part au processus de préparation de la décision, au travail de fond sur le dossier ou la préparation de la procédure de passation : pas de présence dans une commission, un groupe de travail, une réunion…
-> ne pas participer de quelque façon que ce soit, à l’analyse des offres.
Les juridictions pénales sanctionnent en effet la situation dans laquelle la personne intéressée, élu de la collectivité, ne fait que donner un avis (Cass. crim. , 9 février 2011, n° 10-82988).
Observer toutes ces précautions ne suffit pas toujours. Dans certaines situations la position de l’élu, ses délégations, son portefeuille rendent très difficiles l’évitement du délit.
Il faut donc analyser au cas par cas avec beaucoup de vigilance pour déterminer si la délibération peut être prise, quelles précautions prendre ou si la prudence est d’écarter l’entreprise de l’élu du marché public.
L’enjeu – 5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros pouvant être portés au double du produit tiré de l’infraction – en vaut la peine !