La réglementation des émergences sonores générées par les circuits de courses qui commençait à peine à se stabiliser, au prix d’un régime complexe car triple, vient d’être considérablement simplifiée par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, du 28 novembre 2023 (Cass Crim, 28 novembre 2023, Pourvoi n° 22-84.244), qui révèle une lecture des textes diffèrent sensiblement de celle faite par le Conseil d’Etat, que nous vous présentions ici.
Les règles de lutte contre les émergences sonoresédictées par les fédérations
L’article R. 331-19 du code du sport dispose :
« Dans les disciplines pour lesquelles elles ont obtenu délégation, les fédérations sportives mentionnées à l’article L. 131-16 édictent les règles techniques et de sécurité applicables aux événements et aux sites de pratique mentionnés à l’article R. 331-18 ».
ll était acquis que les fédérations sportives délégataires disposaient d’un monopole pour édicter les règles générales relatives aux émergences sonores émises par les véhicules terrestres à moteur participant à des manifestations et concentrations organisées dans des lieux non ouverts à la circulation publique (CE, 11 janvier 2008, France Nature Environnement, n° 303726).
Et, le cas échéant, il appartient au ministre de l’intérieur ou au préfet, lors de la procédure d’homologation des circuits de vitesse et d’autorisation des concentrations et manifestations, de définir les conditions d’exercice spécifiques relatives au bruit de ces manifestations (CE 26 juillet 2011, Isaffo, n° 340806). L’autorité administrative est tout à fait en mesure de se référer, dans l’arrêté d’homologation du circuit, aux règles fédérales (CE, 26 juillet 2011, Ostmann, n°340579).
Ainsi, outre la règlementation édictée par la fédération française des sports automobiles ou de motocyclisme, tout circuit accueillant des activités de sports automobile doit faire l’objet d’une homologation.
La nécessité d’un arrêté d’homologation pour permettre le fonctionnement du circuit de courses
L’exigence de l’arrêté d’homologation résulte des dispositions de l’article R. 331-35 du code du sport :
« Tout circuit sur lequel se déroulent des activités comportant la participation de véhicules terrestres à moteur doit faire l’objet d’une homologation préalable ».
Toute manifestation, au sens des articles R. 331-18 et suivants du code du sport, qui se déroule sur un circuit ne peut être autorisée que si le circuit a été préalablement homologué.
Si l’arrêté d’homologation peut simplement rappeler les règles fédérales (CE, 26 juillet 2011, Ostmann, n°340579), il est souvent utilisé pour définir des conditions d’utilisation particulières du circuit afin de limiter les nuisances potentielles.
Au nombre de ces mesures, on retrouve, par exemple :
- – une limitation des horaires et des jours d’ouverture du circuit
- – l’interdiction d’une pratique sportive particulière, en raison des nuisances spécifiques causées, comme le « drift »
- – la construction de dispositifs anti-bruit
- – la réalisation d’études acoustiques
- – limitation du niveau sonore des véhicules autorisés à circuler sur le circuit de courses.
Les règles fédérales couplées aux arrêtés d’homologations des circuits permettent ensemble de réduire les nuisances sonores causées par le fonctionnement normal d’un circuit.
Le décret bruit : quelle place dans la réglementation des émergences sonores d’un circuit de courses ?
L’intervention du décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 avait rebattu les cartes de la réglementation des circuits, mais la Cour de Cassation vient de rendre un arrêt qui bat en brèche les principes adoptés par le Conseil d’Etat.
L’application du décret : objet du différend entre les deux juridictions « suprêmes »
C’est dans des termes très généraux que le décret précise :
« Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité» .
(R. 1336-5 du code de la santé publique).
Et, les articles R. 1336-6 et 7 du code la santé publique précisent, dans un but de santé et de tranquillité publiques, des valeurs limites à respecter en toute hypothèse en matière de bruit de voisinage, à peine de sanctions.
La position du Conseil d’Etat
Si dans un premier temps, il avait été retenu que, comme les fédérations éditaient des réglementations spécifiques, les valeurs du Code de la santé publique ne pouvaient être opposables aux circuit, la formulation très englobante adoptée par le décret « Bruit » avait fini par convaincre le Conseil d’Etat que ces valeurs devaient également être respectées par des activités sportives ( CE 11 février 2021, association des riverains du circuit de Lédenon, n°432064 ou encore CE, 21 avril 2021, Commune de Sequestre, n° 436282).
Autrement dit, il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que les articles R. 1336-6 et suivants du code de la publique constituent un cadre général qui s’applique à toutes les activités susceptibles de générer du bruit.
Partant, s’il existe une règlementation spéciale quant aux bruits émis par un certain type d’activité, comme c’est le cas pour les circuits de courses de véhicules motorisés, l’exploitant doit, non seulement, se conformer à cette réglementation spéciale mais, également, veiller au respect des valeurs limites d’émergence fixées aux articles R. 1336-7 et R. 1336-8 du code de la santé publique.
La nouvelle lecture proposée par le Chambre criminelle de la Cour de cassation
La Cour de Cassation ne s’était, alors, pas encore exprimée sur l’interprétation à retenir des valeurs édictées par le décret Bruit, codifiées au Code de la santé publique.
A l’occasion d’une longue saga judiciaire concernant des plaintes introduites par une partie des riverains du circuit d’Albi, saisie du volet pénal du dossier, le Tribunal de Police d’Albi, puis la Cour d’appel de Toulouse, le 24 mai 2022 avaient successivement considéré que les règles du Code de la santé publique se cumulaient avec les règles édictées par les fédérations.
Cependant, saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, dans cette affaire, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, s’est cantonnée à une interprétation littérale des textes, guidée par la nécessité d’une interprétation stricte de textes édictés en matière répressive. Et c’est donc laconiquement que la Cour de Cassation a repris les termes de l’article R. 1337-6 du Code de la santé publique, rappelé, ci-dessous :
« Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe :1° Le fait, lors d’une activité professionnelle ou d’une activité culturelle, sportive ou de loisir organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et dont les conditions d’exercice relatives au bruit n’ont pas été fixées par les autorités compétentes, d’être à l’origine d’un bruit de voisinage dépassant les valeurs limites de l’émergence globale ou de l’émergence spectrale conformément à l’article R. 1336-6 ».
Pour censurer le raisonnement de la Cour d’appel de Toulouse qui avait suivi une interprétation plus libérale, partagée par le Conseil d’Etat, en retenant que les règles du Code de la santé publique se cumulaient avec la réglementation édictées par les fédérations de sports mécaniques :
« 12. En se déterminant ainsi, alors que le texte d’incrimination susvisé exclut expressément de son champ d’application les activités culturelles, sportives ou de loisir dont les conditions d’exercice relatives au bruit ont été fixées par les autorités compétentes, la cour d’appel, qui a constaté l’existence d’une telle réglementation, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ».
(Cass Crim, 28 novembre 2023, Pourvoi n° 22-84.244).
Au final, que retenir de cet arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation ?
On retiendra que ce sont donc des dispositions qui n’avaient pas été modifiées par le décret « Bruit » et qui étaient restées en incohérence avec ses principes plus universalistes qui ont contribué à en neutraliser son application en matière répressive, s’agissant des activités des circuits automobiles.
Parmi les critiques formulées à l’encontre de ce décret, étaient justement rapportées son caractère subi et son absence de concertation préalable, alors que le temps de la concertation aurait au moins eu le mérite de permettre de soulever et de corriger des incohérences du texte initial.
Enfin, alors que nous nous étonnions de voir émerger trois régimes juridiques cumulatifs régissant les activités des circuits automobiles, celui élaboré par l’article R. 1337-6 du Code de la santé publique qui était, sans doute, le plus contraignant pour l’activité semble avoir fait une sortie de piste fatale.
Un revirement jurisprudentiel à attendre du Conseil d’Etat ?
On pourrait encore spéculer sur la question de savoir si, avec plus d’esprit libéral que la Chambre Criminelle, – puisque n’ayant pas à appliquer directement les textes répressifs – le Conseil d’Etat qui serait amené à se prononcer en matière administrative sur l’existence de troubles à l’ordre public, pourrait maintenir sa jurisprudence, consistant à prendre en compte l’ampleur des violations du Code de la santé publique, du fait de l’usage du circuit pour apprécier les limites de l’homologation de celui-ci.
Mais, dès lors que le juge répressif est intervenu pour exclure l’application des règles du Code de la santé publique aux circuits automobiles, comment établir que ces règles pourraient indépendamment être retenues comme un outil d’appréciation du respect de l’ordre public, sans inciter les autorités et plaignants à diligenter des contrôles acoustiques juridiquement infondés à la situation des circuits ?
Si le dispositif juridique apparaît donc plus clair, il reste encore à écouter la réplique qui sera prononcée par le Conseil d’Etat pour achever ce dialogue, ou le poursuivre … sans pouvoir s’empêcher de penser que la pièce qui se joue a de quoi en concurrencer une autre dont « beaucoup de bruit pour rien » était le titre.