Nous savons que la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics, en application des dispositions de l’article R. 2132-2 du code de la commande publique, a impliqué le développement d’un nouveau moyen en référé précontractuel, à savoir le dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation.
Aujourd’hui, cette question liée au dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation est bien balisée par la jurisprudence administrative (pour s’en faire une idée, retrouvez notre point sur la question ici).
Mais bien évidemment, cette dématérialisation n’implique pas seulement la question du dépôt des offres hors délai.
De nouvelles interrogations naissent de la pratique et du retour d’expérience.
Et justement, le Conseil d’État vient de se pencher sur un point intéressant, à savoir : que faire lorsqu’un candidat a déposé sa candidature ou son offre dans les temps mais pour la mauvaise procédure, soit dans le mauvais tiroir numérique ?
Rappel : l’obligation de dématérialisation des procédures de passation des marchés publics
Cette obligation résulte, donc, des dispositions de l’article R. 2132-2 du code de la commande publique.
L’acheteur public est tenu d’utiliser une plateforme dématérialisée, autrement appelée « profil d’acheteur » pour le dépôt des candidatures et des offres relatives aux marchés publics d’un montant supérieur à 40 000 € HT et dont la procédure donne lieu à la publication d’un avis d’appel à la concurrence.
Exposé du problème pratique : dépôt de la candidature ou de l’offre pour la mauvaise procédure de passation
La particularité de cette affaire résulte des faits.
En l’occurrence, une communauté d’agglomération avait, notamment, lancé deux procédures dont les dates limites de remise des offres et candidatures étaient identiques.
Pour autant, les deux procédures étaient bien distinctes et différentiables puisqu’il s’agissait :
- – d’une part, un marché n° 1 relatif à des travaux de mise en séparatif de réseaux unitaires sur l’agglomération ;
- – d’autre part, un marché n° 2 relatif à des travaux de raccordement des eaux usées en domaine privé.
Ainsi, la société qui candidatait aux deux marchés a déposé ses deux offres dans le même tiroir numérique, concernant le marché n° 2.
La question ainsi posée était de savoir comment traiter cette erreur de dépôt de la société.
La candidature et l’offre de la société pour le marché n° 1 sont-elles régularisables et quelle(s) marge(s) de manœuvre pour le pouvoir adjudicateur ?
Solution de première instance : la non prise en compte de la candidature constitue un manquement aux obligations de mise en concurrence
En effet, le Tribunal administratif d’Amiens, saisi en première instance, a considéré qu’il appartenait à l’acheteur public de prendre en compte la candidature de la société au marché n° 1, alors même que cette dernière s’est trompée, en déposant sa candidature dans le dans le tiroir numérique dédié au marché n° 2.
Pour arriver à cette conclusion, assez surprenante, le Tribunal releva dans son raisonnement deux points essentiels :
- – Premièrement, les deux marchés disposaient de dates limites de remise des offres et candidatures identiques ;
- – Secondement, il ne faisait aucun doute que la société entendait candidater au marché n°1 puisque toutes les pièces déposées dans la procédure liée au marché n° 2, correspondaient, en réalité, au marché n°1.
Pour le Tribunal administratif, cette erreur de tiroir numérique constitue, en quelque sorte, une erreur matérielle qu’il appartenait à l’acheteur public de corriger spontanément. Et cela d’autant plus que cette régularisation ne nécessitait aucune forme d’analyse.
Il appartenait, par conséquent, à l’acheteur public de prendre en considération la candidature et l’offre de la société. Faute de l’avoir fait, le Tribunal a jugé que la communauté d’agglomération avait manqué à ses obligations de mise en concurrence et a, d’une part, prononcé l’annulation de la procédure et, d’autre part, enjoint à l’acheteur public de reprendre cette procédure à compter de l’examen des candidatures et des offres,
Cette solution jurisprudentielle n’en demeure pas moins généreuse et protectrice des entreprises candidates, puisqu’elle revient à imposer à l’acheteur public de corriger les erreurs et manques de vigilance des candidats.
Cette solution fait peser sur l’acheteur public une contrainte, à savoir une obligation de régularisation, alors même qu’aucune disposition du code de la commande publique ne l’impose.
Position du Conseil d’État : l’acheteur public n’a pas à sauver le candidat qui s’est trompé de procédure lors du dépôt de sa candidature ou de son offre
Retour à la raison avec cet arrêt du Conseil d’État du 1 juin 2023.
Le Conseil d’État juge que :
« aucune disposition ni aucun principe n’impose au pouvoir adjudicateur d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler ».
(CE, 1er juin 2023, n° 469127)
De même, dans le prolongement de l’ordonnance du Tribunal administratif d’Amiens, le Conseil d’État précise qu’il n’appartient pas à l’acheteur public de « rectifier de lui-même l’erreur de dépôt commise » sous réserve que l’erreur du candidat ne résulte pas d’un dysfonctionnement de la plateforme (CE, 1er juin 2023, n° 469127).
Suivant la proposition du rapporteur public Nicolas Labrune, le Conseil d’État rejette toute obligation pour l’acheteur public de régulariser la candidature ou l’offre déposée dans le mauvais tiroir numérique.
Bien évidemment, le pouvoir adjudicateur a toujours la faculté d’inviter le candidat à régulariser sa candidature ou son offre. Pour autant, il n’en a jamais l’obligation. L’arrêt du Conseil d’État s’inscrit dans la lignée de l’actuelle article R. 2152-2 du code de la commande publique selon lequel l’acheteur public dispose toujours de la faculté et non de l’obligation d’autoriser la régularisation des offres irrégulières (en ce sens, CE, 21 mars 2018, D’épatement des Bouches du Rhône).