Depuis quelques semaines, la gestion de terrains de pétanques situés à Montmartre défraye la chronique. Et, après les pétitions, les articles de presse, le Tribunal administratif pointe le bout de son nez et fait un carreau.
Pour conclure à son incompétence par ordonnance du 25 septembre 2023, le Tribunal administratif de Paris a le mérite de rappeler les principes régissant l’identification du domaine public.
I – l’identification du domaine public : rappel des principes
Le domaine public immobilier est défini à l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques :
« Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».
Autrement dit, pour relever du domaine public un bien immobilier doit remplir deux critères :
- – un critère organique : appartenir à une personne publique visée à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques, soit l’Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics ;
- – un critère finaliste : l’affectation à une utilité publique, soit l’usage direct du public ou soit un service public sous réserve que, dans ce dernier cas, le bien fasse l’objet d’un aménagement indispensable en vue de l’exécution des missions de ce service public.
A noter que le Tribunal administratif, statuant sur une affectation d’un bien immobilier antérieure à l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, se réfère à un aménagement spécial, conformément à la jurisprudence administrative :
« Considérant qu’indépendamment de la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d’occuper un bien dont elle est propriétaire, l’appartenance au domaine public d’un tel bien était, avant la date d’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné » (CE, 28 décembre 2009, Sté Brasserie du Théâtre, n° 290937).
II – Le boulodrome de Montmartre ne fait pas partie du domaine public de la Ville de Paris
Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal administratif procède à une analyse casuistique des données :
- – pour accéder au terrain, il faut, d’une part, traverser deux portes dont l’une est fermée à clefs et, d’autre part, emprunter une voie privée grevée d’une servitude de passage ;
- – la Ville de Paris n’a manifesté aucune volonté de transformer ce bien en espace affecté à l’usage direct du public ;
- – le terrain n’a fait l’objet d’aucun aménagement spécial en vue de l’exercice d’une mission de service public.
Ainsi, en s’appuyant sur le fait que la Commune, propriétaire du bien, à préférer laisser faire l’association occupante, sans jamais imposer ou dicter quelques obligations et règles, le Tribunal en déduit que la Ville de Paris n’a jamais eu l’intention d’intégrer cette parcelle à son domaine public.
A cet égard, il est important de garder à l’esprit que l’affectation à l’utilité publique ne suffit, en réalité, pas. Il faut toujours démontrer l’intention de la personne publique d’affecter son bien à l’utilité publique.
L’affectation est nécessairement intentionnelle :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que si la parcelle litigieuse était accessible au public, elle ne pouvait être regardée comme affectée par la commune aux besoins de la circulation terrestre ; qu’ainsi, elle ne relevait pas, comme telle, en application de l’article L. 2111-14 du code général de la propriété des personnes publiques, du domaine public routier communal ; qu’en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier, en dépit de la circonstance que des piétons aient pu de manière occasionnelle la traverser pour accéder aux bâtiments mitoyens, que la commune ait affecté cette parcelle à l’usage direct du public ; qu’elle n’a pas davantage été affectée à un service public ni fait l’objet d’un quelconque aménagement à cette fin ; qu’elle n’entrait pas, dès lors, dans les prévisions de l’article L. 2111-1 du même code ; que, de même, il ne ressort pas de ces pièces, notamment en raison de la configuration des lieux, qu’elle constituait un accessoire indissociable d’un bien appartenant au domaine public de la commune, au sens des dispositions de l’article L. 2111-2 du code ; qu’il suit de là que la parcelle litigieuse ne constituait pas une dépendance du domaine public de la commune mais une dépendance de son domaine privé ; que la contestation du refus du maire de prendre, à la demande d’un propriétaire riverain, des mesures permettant la conservation et l’entretien de cette parcelle, qui n’affecte ni le périmètre, ni la consistance du domaine privé communal, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève donc de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ; que, par suite, il y a lieu d’annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy et de rejeter la demande de Mme B…comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ».
(CE, 2 novembre 2015, Cne de Neuves-Maisons, n° 373896).
Dès lors, l’action en expulsion intentée par la Ville devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée, puisque la parcelle relève de son domaine privé.
Le juge administratif se déclare incompétent pour connaître d’une telle action, qui relève de la seule juridiction judiciaire.
Eu égard à la médiatisation de cette affaire et aux enjeux, on pourrait presqu’affirmer que la voie du référé mesure utile était vouée à l’échec. En tout état de cause, sauf nouvelles données factuelles, il va être difficile de poursuivre les actions judiciaires devant le juge administratif.
Le boulodrome de Montmartre n’a pas fini de faire parler de lui !