Par un arrêt du 7 juin 2023 (CE, 7 juin 2023, n° 447797), le Conseil d’Etat tranche le sort du bail rural après son intégration dans le domaine public et juge que le bail rural se transforme automatiquement en convention d’occupation du domaine public.
Par principe, les baux de droit privé sont exclus du domaine public
En raison du régime juridique spécifique et protecteur du domaine public, il est acquis que les baux de droit privé ne sauraient être conclus sur le domaine public.
En effet, en vertu de l’article L.3111-2 du code de la propriété des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. Il en résulte que les occupations privatives du domaine public sont, en principe, précaires et révocables.
Il en est déduit l’impossibilité de conclure un bail commercial sur le domaine public (CE, 6 décembre 1985, n° 44716). En effet, eu égard au caractère révocable et personnel, déjà rappelé, d’une autorisation d’occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire (en ce sens (CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, req. n° 352402).
De même, le bail d’habitation de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ne s’applique pas sur le domaine public (en ce sens, par exemple, CAA Bordeaux, 18 octobre 2007, n° 05BX00085).
La multiplication d’exceptions à l’interdiction de contrats privés sur le domaine public
Si effectivement, le domaine public induit, en principe, l’exclusion des montages et baux de droit privé, force est de constater quelques évolutions et adaptations dans l’optique d’une meilleure valorisation du domaine public.
D’une part, le juge administratif a pu revenir sur sa jurisprudence excluant les baux à construction sur le domaine public (en ce sens CAA de Nantes, 9 mai 2014, n° 12NT03234). Ainsi, dans un arrêt du 11 mai 2016, le Conseil d’Etat a admis, sous conditions, la compatibilité du bail à construction avec le domaine public (CE, 11 mai 2016, n° 390118) :
« Considérant que si la constitution de droits réels sur le domaine public de l’Etat suppose en principe la délivrance d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public, aucune disposition ni aucun principe n’interdit que l’Etat et ses établissements publics puissent autoriser l’occupation d’une dépendance du domaine public en vertu d’une convention par laquelle l’une des parties s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l’autre partie et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d’occupation constitutives de droits réels, confère un droit réel immobilier, à condition toutefois que les clauses de la convention ainsi conclue respectent, ainsi que le prévoit l’article L. 34-5 du code du domaine de l’Etat, repris à l’article L. 2122-11 du code général de la propriété des personnes publiques cité au point 4, les dispositions applicables aux autorisations d’occupation temporaires du domaine public de l’Etat constitutives de droits réels, qui s’imposent aux conventions de toute nature ayant pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public » .
(CE, 11 mai 2016, n° 390118).
Autrement dit, seul le bail à construction compatible avec les principes et le régime de la domanialité publique sera régulier.
D’autre part, comme indiqué précédemment, normalement, le bail commercial est impossible sur le domaine public.
Résultat de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi Pinel, l’article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques prévoie la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public, sous réserve de l’existence d’une clientèle propre.
Ce titre d’occupation, possible uniquement hors domaine public naturel, reste toutefois une convention précaire et révocable et non pas un bail commercial, afin de respecter le régime d’occupation du domaine public.
Et le Conseil d’Etat rappelle que l’on se situe toujours dans le champ de l’autorisation précaire et révocable :
« aux termes de l’article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques : » Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre « . Il résulte de ces dispositions, issues de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l’entrée de cette loi, que le législateur a reconnu aux occupants d’une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d’exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d’occupation à la condition qu’ils disposent d’une clientèle propre distincte des usagers du domaine public » .
(CE, 11 mars 2022, n° 453440).
Le Conseil d’Etat précise à cet égard le caractère impératif de l’article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Autrement dit, l’autorisation d’occupation du domaine public ne saurait exclure la possibilité de constituer un fond de commerce sur le domaine public.
Aucune dérogation pour le bail rural sur le domaine public
Le bail rural est incompatible avec le domaine public
C’est ce que vient de juger le Conseil d’Etat le 7 juin 2023.
En l’occurence, le point de départ de cette affaire était l’intégration légale et régulière dans le domaine public du conservatoire du littoral, personne publique, d’un bien immobilier jusqu’alors soumis à bail rural.
Pour le Conseil d’Etat, l’existence d’un tel bail rural en cours de validité lors de l’intégration du bien dans le domaine public vaut désormais titre d’occupation du domaine public.
Cette solution s’inscrit dans la lignée directe de la jurisprudence du Conseil d’Etat s’agissant du sort d’un bail commercial après intégration dans le domaine public :
« Il résulte de l’instruction que, ainsi qu’il a été dit au point 5, le terrain de camping occupé par la société Domaine de Pierrageais constitue depuis le 10 mai 2022 une dépendance du domaine public de la commune de Saint-Félicien. Si le bail commercial, en cours à cette date, dont disposait cette société ne pouvait plus être opposé à la commune en celles de ses clauses devenues incompatibles avec l’appartenance des parcelles en cause au domaine public, il constituait néanmoins, tant que la commune n’y avait pas mis fin, un titre autorisant son titulaire à occuper la dépendance en litige ».
(CE, 21 décembre 2022, n° 464505).
Attention, en raison de son incompatibilité avec les principes de la domanialité publique, ce titre ne saurait pour autant, constituer un bail rural :
« Lorsque le conservatoire procède à l’intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d’un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu’à son éventuelle dénonciation, un titre d’occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d’une contravention de grande voirie pour s’être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Ce contrat ne peut, en revanche, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu’il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique » .
(CE, 7 juin 2023, n° 447797).
Le Conseil d’Etat confirme la possibilité dont dispose le propriétaire public de dénoncer ce titre d’occupation.
De même, si le bail rural est automatiquement transformé en titre d’occupation du domaine public, il n’en demeure pas moins que cette exploitation, selon les termes du bail rural, n’est possible qu’en l’absence d’’atteinte à l’intégrité ou à la conservation du domaine public.
En cas d’atteinte à l’intégrité ou à la conservation, l’occupation sera constitutive d’une contravention de grande voirie :
« Dans tous les cas, une exploitation agricole des biens incorporés au domaine propre de l’établissement public qui porte atteinte à l’intégrité ou à la conservation de ce domaine constitue, en vertu de l’article L. 322-10-4 du code de l’environnement cité au point 3, et sans préjudice des sanctions pénales encourues, une contravention de grande voirie qu’il appartient au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres de constater, réprimer et poursuivre par voie administrative ».
(CE, 7 juin 2023, n° 447797).
Ainsi, si l’occupant, ancien titulaire du bail rural, est susceptible de se maintenir, sous condition, sur le domaine domaine public, il se voit privé de nombreuses prérogatives liées au bail rural.
L’avantage est tout relatif pour ce dernier. Mais cette solution jurisprudentielle trouve sa justification dans la nécessaire protection due au domaine public.