La nouvelle définition du délit pénal de prise illégale est introduite par le Sénat lors de la discussion en première lecture de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.
Ainsi par l’article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, le mot « quelconque » est remplacé par les mots : « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité ».
Annoncé comme un resserrement attendu et souhaité par les élus locaux, quel est réellement de l’impact pratique et concret de ce changement sémantique de l’article 432-12 du code pénal définissant le délit de prise illégale d’intérêt ?
Le délit pénal de prise illégale d’intérêts
Nous l’écrivions dans notre article consacré au risque pour l’élu membre d’une entreprise publique locale lors du vote d’une délibération : la jurisprudence judiciaire est particulièrement sévère dans la mise en œuvre des dispositions de l’article 432-12 du code pénal.
Le juge pénal développe une approche objective pour identifier l’élément matériel et intentionnel de l’infraction de prise illégale d’intérêt.
Par cette approche objective, les élus locaux et agents publics font face à un risque pénal élevé, puisque ce risque affecte tous les actes liés à leur fonction.
Ainsi, il ressort de la jurisprudence pénale que l’élu :
- – ne peut pas participer aux décisions relatives à sa désignation, ou à sa rémunération (Crim. 8 juin 1999, n°98-82608) ;
- – ne peut pas participer au vote concernant l’attribution d’une subvention par la collectivité à un organisme qu’il préside (Crim. 22 octobre 2008, n°08-82068).
- – ne peut pas participer à certaines délibérations, voire à certains travaux préparatoires, ce y compris en l’absence de prise de part au vote (Crim, 23 février 2011, n°10-82880 ou encore (Crim. 22 février 2017, n°16-82039).
Ce contexte jurisprudentiel source d’aléa et de sévérité, notamment en raison du fait que les peines pénales prévues sont très lourdes, est sujet à de vives critiques. En effet, selon le juge pénal la seule participation, sans vote, est assimilée à une surveillance ou à une administration de l’opération, au sens de l’article 432-12 du Code pénal.
D’autant plus que le fait que l’intérêt de l’élu ne soit pas en contradiction avec l’intérêt communal est indifférent (Crim. 19 mars 2008, n° 07-84288).
Autrement dit, au regard de la jurisprudence pénale, le délit de prise illégale d’intérêt est très facilement caractérisé, ce qui pose des difficultés pour les élus locaux.
La nouvelle définition du délit de prise illégale d’intérêts : un changement sémantique
Ainsi, l’article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 redéfinit le délit de prise illégale d’intérêt.
Il s’agit pour le législateur de procéder à un resserrement de la définition du délit.
Ainsi, pour la nouvelle rédaction de l’article 432-12 du code pénal, le mot « quelconque » est remplacé par les mots : « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » :
« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ».
(article 432-12 du code pénal).
Le législateur a souhaité encadrer la prise illégale d’intérêts en listant les cas dans lesquels la prise illégale d’un intérêt est, donc, susceptible d’être caractérisée.
Cette reformulation de la prise illégale d’intérêts résulte des travaux de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Cette derniere proposait, dans son rapport d’activité 2020, de substituer à l’« intérêt quelconque » les mots « un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de la personne » (en ce sens également, rapport de la commission Sauvé de 2011).
En pratique, quel(s) changement(s) concret(s) pour le délit de prise illégale d’intérêts ?
Même si, eu égard à la nature très récente de cette réforme, il est difficile de se projeter, il n’est pas certain que cette entreprise de redéfinition permette, en l’état, d’atteindre pleinement le but recherché.
S’il s’agit de préserver les élus d’un risque pénal élevé, la nouvelle rédaction de l’article 432-12 du code pénal est peut-être en deçà de l’objectif poursuivi.
En effet, l’impartialité, l’indépendance et l’objectivité de l’élu seront soumis à l’appréciation souveraine du juge pénal.
Et, en réalité, l’infraction de prise illégale d’intérêts est quasiment la même en dépit du changement sémantique de sorte que le risque pénal n’est pas tant réduit que cela.
Finalement, la solution aurait pu venir d’une modification plus audacieuse comme celle adoptée au Sénat le 24 juin 2010, sur proposition de loi, à savoir le remplacement des mots : « un intérêt quelconque » par les mots : « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ».
En tout état de cause, dans la mesure où la nouvelle rédaction de l’article 432-12 du code pénal a peu de chance de faire évoluer sensiblement la jurisprudence du juge pénal, il est recommandé de rester extrêmement vigilant et d’éviter toute situation susceptible de faire naître un conflit d’intérêt.
Toujours le même conseil donc, il est recommandé à l’élu de se retirer ou s’abstenir d’agir et, au moindre doute, saisissez votre avocat !