Le contentieux de l’éolien n’en finit pas de faire l’actualité (voir nos articles précédents sur le sujet : « Éoliennes : quel juge compétent ? » ou encore « L’impact de la présence d’éoliennes sur la taxe foncière des riverains ». Et, les dernières annonces du Premier ministre sur le lancement d’appels d’offres pour le déploiement de parcs éoliens en mer Méditerranée ne risquent pas de calmer cette actualité juridique.
En l’occurrence, ce premier trimestre 2022 est, notamment, marqué par deux arrêts du Conseil d’État qui éclairent le contentieux éolien tant s’agissant de la dérogation aux interdictions de destruction des espèces de faune sauvage protégées que de l’autorisation unique délivrée pour la construction et l’exploitation d’un parc éolien.
La création d’un parc éolien n’est pas nécessairement une raison impérative d’intérêt public majeur
Dérogation de l’article L. 411-2 du code de l’environnement : la mise en œuvre de critères cumulatifs
En application des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, la caractérisation d’une raison impérieuse d’intérêt public majeur permet de déroger aux interdictions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement portant, notamment, sur :
- – la destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;
- – la destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;
- – la destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ;
- – la destruction, l’altération ou la dégradation des sites d’intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que le prélèvement, la destruction ou la dégradation de fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites ;
- – la pose de poteaux téléphoniques et de poteaux de filets paravalanches et anti-éboulement creux et non bouchés.
Cette dérogation de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne peut être accordée que si trois conditions sont réunies :
- – s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ;
- – si la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
- – si la dérogation vise la protection d’un intérêt, l’octroi d’une dérogation étant notamment prévu dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur.
Le Conseil d’État retient le caractère cumulatif des trois conditions permettant d’accorder une dérogation sur la base de l’article L. 411-2 du code de l’environnement :
« un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle »
(CE, 10 mars 2022, n° 439784 reprenant un considérant dégagé dans CE, 15 avril 2021, n° 432158 et n° 430500).
Et plus encore, le Conseil d’État réaffirme que la caractérisation d’une raison impérieuse d’intérêt public majeur résulte nécessairement d’une balance des intérêts en présence (raisonnement déjà consacré par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 16 février 2012, Solway c/ Région Wallonne, aff C-182 10)).
Mise en balance des intérêts en présence pour caractériser une raison impérieuse d’intérêt public majeur
Ainsi, le Conseil d’État valide le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Marseille qui a, donc, sans commettre d’erreur de droit, jugé l’absence raison impérieuse d’intérêt public majeur pour le projet de parc éolien, après mise en balance des intérêts en cause :
« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que le parc éolien projeté, d’une part, serait susceptible d’affecter quatre espèces de reptiles, une espèce d’amphibien, soixante-dix espèces d’oiseaux dont neuf à fort enjeux de conservation et, d’autre part, représenterait une production électrique évaluée à trente mégawattheures, correspondant à la consommation d’environ 26 000 habitants, permettrait d’éviter le rejet annuel dans l’atmosphère de l’ordre de 50 920 tonnes de gaz carbonique. Après avoir relevé que le projet de parc éolien n’apporterait qu’une contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans une zone qui compte déjà de nombreux parcs éoliens et que les bénéfices socio-économiques du projet seraient limités et principalement transitoires, la cour a exactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que, dans ces conditions, le projet en cause ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens du c) du 4° de l’article L. 411-2 du même code. En statuant ainsi, par un arrêt suffisamment motivé, la cour n’a pas apprécié l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur en fonction de l’ampleur de l’atteinte porté par le projet à des espèces protégées mais s’est bornée à relever l’existence d’une telle atteinte, pour en déduire la nécessité d’une autorisation de l’article L. 411-2. Ce faisant, elle n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit. Elle n’a pas davantage commis d’erreur de droit en ne recherchant pas si les autres conditions posées par l’article L. 411-2 étaient remplies, dès lors qu’elle jugeait que le projet ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur »
(CE, 10 mars 2022, n° 439784 et CAA de Marseille CAA Marseille, 24 janvier 2020, n° 18MA04972).
Autrement dit, pour contrôler l’autorisation d’installation d’un parc éolien fondée sur une dérogation de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et apprécier la raison impérative d’intérêt public majeur, le juge administratif doit :
- – identifier les atteintes à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages ;
- – identifier l’intérêt public poursuivi.
En matière de projet éolien, l’intérêt public intègre, notamment :
- – la quantité d’énergie produite ;
- – la quantité de rejet annuel dans l’atmosphère de gaz carbonique évité ;
- – l’impact du projet sur la contribution à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie ;
- – les bénéficies socio-économiques du projet ;
- – l’impact du projet en termes de création d’emplois.
En l’espèce, le Conseil d’État suit la Cour administrative d’appel de Marseille. Après mise en balance des intérêts, celle-ci avait jugé que le projet ne saurait constitué une raison impérative d’intérêt public majeur dans la mesure où, en l’espèce, il :
- – « serait susceptible d’affecter quatre espèces de reptiles, une espèce d’amphibien, soixante-dix espèces d’oiseaux dont neuf à fort enjeux de conservation » ;
- – « n’apporterait qu’une contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans une zone qui compte déjà de nombreux parcs éoliens et que les bénéfices socio-économiques du projet seraient limités et principalement transitoires » (CE, 10 mars 2022, n° 439784).
Faute de raison impérieuse d’intérêt public majeur, la dérogation de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne pouvait pas être accordée.
Si le raisonnement n’est pas nouveau, cet arrêt est intéressant dans la mesure où le Conseil d’État refuse de juger que la création d’un parc éolien répond nécessairement et automatiquement à une raison impérative d’intérêt public majeur. Le seul intérêt public d’un tel projet ne justifie pas en soi des atteintes graves à la faune et la flore.
A noter que, dans le cas où le juge administratif admet l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt majeur, le contrôle de la régularité de la dérogation accordée porte sur l’absence d’autre solution satisfaisante concernée et l’absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces (pour un exemple de jurisprudences : CE, 15 avril 2021, n° 432158 et n° 430500)
Le principe de l’indépendance des législations s’oppose à la soumission de l’autorisation unique délivrée pour la construction et l’exploitation d’un parc éolien au règlement départemental de voirie
Dans un arrêt du 7 mars 2022, le Conseil d’État a eu à se pencher sur une question nouvelle s’agissant du contentieux éolien.
Ainsi, le Conseil d’État était, notamment, saisi de la question de l’opposabilité d’un règlement départemental de voirie à une autorisation unique valant autorisation d’urbanisme délivrée pour la construction et l’exploitation d’un parc éolien.
Question évidemment intéressante, puisque l’autorisation unique tient lieu d’autorisation d’urbanisme au sens du quatrième alinéa de l’article 2 de l’ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014. Le juge administratif doit donc statuer au regard des règles d’urbanisme applicables (CE, 26 juillet 2018, Association « Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny » , n° 416831).
Pour le Conseil d’État, les dispositions d’un règlement départemental de voirie qui n’appellent l’intervention d’aucune décision administrative dont l’autorisation unique aurait été susceptible de tenir lieu ne sont pas opposables à une autorisation unique, y compris en tant que ladite autorisation unique tient lieu d’autorisation d’urbanisme (CE, 7 mars 2022, n° 440245).
Suivant ainsi, les conclusions du Rapporteur public Nicolas AGNOUX, le Conseil d’État s’appuie sur le principe d’indépendance des législations pour écarter l’opposabilité du règlement départemental de voirie.Même si ce litige s’inscrit dans le cadre du régime transitoire de l’autorisation unique, instituée à titre expérimental par l’ordonnance du 20 mars 2014, cette solution trouvera surement un avenir dans le régime propre des autorisations environnementales désormais en vigueur depuis l’ordonnance du 26 janvier 2017.