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Dénonciation de harcèlement moral au travail et risque de sanction disciplinaire

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Si par principe, un agent public ne peut pas être sanctionné par son employeur pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral dont il a été victime, en raison des dispositions de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, ce droit n’est pas absolu et doit être concilié avec le devoir de réserve.

Dans un arrêt du 29 décembre 2021, le Conseil d’État tente un jeu d’équilibriste et donne quelques clefs pour l’employeur public.

En principe, l’employeur ne peut sanctionner l’agent dénonçant le harcèlement moral au travail

Ce principe résulte l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 :

« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l’appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération :

1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;

2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;

3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés.

Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ».

Autrement dit, le législateur pose :

  • – un principe général de protection de l’agent public victime de faits de harcèlement au travail ; 

  • – un principe d’action disciplinaire contre les auteurs directs ou indirects de faits de harcèlement moral.

Ainsi, le rapporteur public rappelle dans ses conclusions sur larrêt n° 433838 du 29 décembre 2021 que, saisi de la légalité d’une sanction disciplinaire alors qu’un harcèlement moral est allégué, il appartient au juge administratif de vérifier si ce harcèlement est avéré.

Dénoncer des faits de harcèlement au travail au détriment du devoir de réserve justifie, pour autant, une sanction disciplinaire

Si la seule dénonciation de faits de harcèlement moral ne doit pas justifier l’application, par l’employeur, d’une sanction disciplinaire, il n’en demeure pas moins qu’il appartient au juge administratif de vérifier les conditions matérielles de la dénonciation.

Autrement dit, est-ce que la dénonciation d’un harcèlement au travail porte atteinte au devoir de réserve des fonctionnaires ?

« il ne ressort pas des propos litigieux de M. G… mentionnés ci-dessus que ceux-ci ont excédé, dans leur forme, l’expression normale attendue dans le cadre de relations professionnelles. Ils sont, dans leur contenu, l’expression du malaise ressenti par l’intéressé dans sa relation avec sa hiérarchie. Ils n’ont, enfin, pas fait l’objet d’une diffusion en dehors du cercle des personnes appelées à prendre connaissance de son évaluation professionnelle, de l’unique destinataire de la note du 10 avril 2015 et des trois personnes présentes lors de l’entretien du 4 juin 2015. Dans ces circonstances, ces propos n’ont pas constitué un manquement à son obligation de réserve. Ils n’ont pas non plus constitué un manquement à son devoir de loyauté, M. G… n’ayant pas trompé la confiance que ses supérieurs devaient pouvoir placer en lui dans l’exercice de ses fonctions ou le respect de ses obligations » .

(CAA Lyon, 20 octobre 2020, n° 18LY02794 également en ce sens TA Montpellier, 21 septembre 2016, n° 1502085)

Bien évidemment, le contrôle de l’atteinte au devoir de réserve en pareille situation est délicat.

L’agent public qui se pense victime de faits de harcèlement au travail peut éprouver les plus grandes difficultés à faire preuve de modération lors de la dénonciation des faits, aboutissant à un manquement au devoir de réserve.

Dénonciation de faits de harcèlement et respect du devoir de réserve : une affaire d’équilibre sensible

Dans son arrêt du 29 décembre 2021, le Conseil d’État rappelle, dans un premier temps, le considérant de principe :

« les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés lorsqu’ils sont amenés à dénoncer des faits de harcèlement moral dont ils sont victimes ou témoins. Toutefois, l’exercice du droit à dénonciation de ces faits doit être concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques, notamment de l’obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et qui leur impose de faire preuve de mesure dans leur expression » .

(arrêt n° 433838 du 29 décembre 2021)

Dans un second temps, le Conseil d’État fait preuve de pédagogie et donne des clefs pour déterminer si la sanction disciplinaire infligée serait justifiée et proportionnée.

Il appartient à l’employeur, d’une part, de « prendre en compte les agissements de l’administration dont le fonctionnaire s’estime victime ».

D’autre part, il faut considérer « les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits », au regard notamment :

  • – de la teneur des propos tenus ;
  • – de leurs destinataires ;
  • – des démarches qu’il aurait préalablement accomplies pour alerter sur sa situation.

Et, le Conseil d’État juge, en l’espèce, que la Cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit dans la mesure où les juges d’appel n’ont pas pris en compte les agissements de l’administration employeur contre son agent.

Une clarification bienvenue mais évidemment délicate à mettre en œuvre

Tant pour l’agent que l’administration, la gestion de faits de harcèlements au travail s’avère en pratique, bien souvent, difficile.

Si d’un côté cela affecte directement la santé de la victime présumée, il n’en demeure pas moins que l’administration se doit d’assurer la continuité du service.

Dès lors, notre conseil pratique est d’être mesuré tant pour l’agent victime que l’administration employeur.Il ne faut surtout pas agir dans la précipitation pour éviter toutes conséquences préjudiciables.

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