Lorsqu’une collectivité publique accepte de prendre en charge la taxe foncière dans le cadre d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT) constitutive de droits réels, la question de la légalité de cette clause se pose.
La légalité d’une telle clause interroge tant d’un point de vue du respect du principe d’égalité devant les charges publiques que de la réglementation relative aux aides d’État.
La légalité formelle de la clause d’une AOT constitutive de droits réels imputant la taxe foncière à une collectivité publique
L’article 1400 du code du code général des impôts prévoit que :
« I. – Sous réserve des dispositions des articles 1403 et 1404, toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel.
II. – Lorsqu’un immeuble est grevé d’usufruit ou loué soit par bail emphytéotique, soit par bail à construction, soit par bail réel solidaire, soit par bail à réhabilitation ou fait l’objet d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public constitutive d’un droit réel, la taxe foncière est établie au nom de l’usufruitier, de l’emphytéote, du preneur à bail à construction ou à réhabilitation, du preneur du bail réel solidaire ou du titulaire de l’autorisation. »
Il en ressort qu’en principe, le redevable de la taxe foncière est le propriétaire de l’immeuble :
- – bâti ;
- – non bâti.
La situation est différente, lorsque cet immeuble est grevé d’un titre constitutif de droits réels au profit d’un preneur, c’est-à-dire, lorsque le titre d’occupation du preneur revêt des attributs du droit de propriété.
Dans ce cas, le redevable de la taxe foncière n’est plus le propriétaire, mais bien le titulaire de ces droits réels.
Cette situation résulte du principe de l’accession différée qui implique que le preneur est propriétaire des constructions qu’il édifie. Ces construction ont vocation à entrer dans son patrimoine à la fin du bail.
A ce titre, l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière prévoit que :
« Sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles :
1° Tous actes, même assortis d’une condition suspensive, et toutes décisions judiciaires, portant ou constatant entre vifs :
a) Mutation ou constitution de droits réels immobilier, y compris les obligations réelles définies à l’article L. 132-3 du code de l’environnement, autres que les privilèges et hypothèques, qui sont conservés suivant les modalités prévues au code civil ; […] »
Ainsi, pour qu’un titre constitutif de droits réels soit opposable, notammentà l’administration fiscale, le titre doit avoir été publié au service chargé de la publicité foncière, autrement appelé fichier immobilier.
Il en résulte que pour que le titulaire d’un droit réel soit redevable de la taxe foncière comme le prévoit le II. de l’article 1400 du code du code général des impôts, ce droit réel doit avoir été publié au fichier immobilier. C’est justement ce que prévoient les articles 1402 et 1403 du code général des impôts.
En l’absence de cette formalité, légalement, le redevable de la taxe foncière demeure le propriétaire de l’immeuble :
« 10. Il résulte de l’instruction que le bail emphytéotique administratif n’a pas été publié au fichier immobilier au cours des années en cause. Dès lors, la qualité d’emphytéote de la société SMA Environnement ne permet pas de la regarder comme la redevable légale de la taxe foncière.» (CE, 11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)
Aussi en droit, il faut distinguer :
- – la relation entre le contribuable et l’administration fiscale, c’est-à-dire l’établissement et le recouvrement de l’impôt, qui est d’ordre public (on ne peut pas y déroger),
- – les relations contractuelles entre plusieurs parties qui peuvent prévoir une clause d’attribution conventionnelle de la charge de l’impôt (Civ., 13 mars 1895, Dreyfus Frères et Cie S., 1895.1.465)
Une telle clause d’attribution conventionnelle peut :
- – être directement envisagée par la loi (comme dans l’article 1712 du code général des impôts s’agissant des droits d’enregistrement).
- – résulter de l’autonomie de la volonté des parties (Cass. Com., 19 janvier 1981, Mme Latz c/ Bottscheller ou encore Cass. Com., 9 janvier 2001, Société Méditerranée Poids Lourds, Bull. civ. IV, n° 8, p. 6).
- – résulter d’un simple usage : « Mais attendu qu’ayant constaté l’existence d’un usage professionnel selon lequel les employeurs de gardiens d’immeuble sont tenus de prendre en charge, pour le compte de ces derniers, la taxe d’habitation, la cour d’appel a, sans encourir le grief du moyen, légalement justifié sa décision ; » (Cass. Soc., 14 novembre 1995, Syndicat de copropriété Les Verchères, n° 94-41.098).
En raison du caractère d’ordre public de la relation entre le contribuable et l’administration fiscale, une clause d’attribution conventionnelle de la charge de l’impôt n’est pas opposable à l’administration fiscale, c’est-à-dire qu’elle :
- – ne change pas l’identité du redevable légal,
- – n’est opposable qu’entre les parties.
C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé, au sujet d’une clause d’attribution conventionnelle de la taxe foncière mise à la charge du bailleur emphytéotique :
(CAA Marseille, 28 juin 1999, S.A. Yacht- club international de Bormes-les-Mimosas, n° 96MA01111)
« […] qu’il résulte toutefois de ses termes mêmes que la stipulation contractuelle litigieuse se borne à prévoir le transfert, au concessionnaire, de la charge financière des taxes en cause, sans modifier l’identité de leur redevable légal, et n’a pas, en tout état de cause, le caractère d’une exonération fiscale entrant dans le champ d’application de l’article 1649 octies, invoqué ; qu’aucune disposition de la législation fiscale, ni principe de droit public, ne s’oppose à ce que soit conclu un tel engagement ; que la circonstance que soit contractuellement prévue par ailleurs la redevance d’occupation due par le concessionnaire ne rend pas sans objet, comme étant privé de contrepartie, l’engagement pris en matière de taxes foncières par le concessionnaire, dès lors qu’aucune disposition contractuelle ne s’oppose au cumul desdites charges ; qu’il suit de là que la société requérante n’est pas fondée à exciper de la nullité de son obligation ; »
La légalité d’une telle clause est confirmée par le Conseil d’État, qui a précisé que lorsque les biens construits par le titulaire de droits réels l’ont été pour exercer une mission de service public correspondant à un besoin de la personne publique bailleresse, cette dernière reste redevable de la taxe foncière :
« 3. Considérant que lorsque des biens ont été construits par un établissement public pour l’exécution de la mission de service public dont il a la charge sur des terrains mis à sa disposition par une autre personne publique, cet établissement public doit, sauf dispositions législatives contraires ou stipulations contraires de l’acte mettant à disposition les terrains, en être regardé comme le propriétaire au sens et pour l’application du I de l’article 1400 du code général des impôts ; »
(CE, 28 janvier 2015, Syndicat mixte de l’aéroport de Saint-Brieuc Armor, n° 371501)
Egalement, la doctrine gouvernementale confirme, dans le même temps, cette légalité :
« Conformément à l’article 1400 du code général des impôts, toute propriété bâtie ou non bâtie doit être imposée au nom du propriétaire actuel. Ce principe n’est atténué que par quatre exceptions limitativement énumérées au II de l’article 1400 précité : usufruit, emphytéose, bail à construction et bail à réhabilitation. Dans ces situations, la taxe foncière doit être établie au nom du titulaire du droit. Ainsi, lorsque la situation juridique d’un immeuble fait l’objet d’une modification qui n’emporte ni mutation de propriété ni attribution d’un des droits réels immobiliers énumérés ci-dessus, la taxe doit être établie au nom du propriétaire. Cela étant, les parties peuvent convenir que la taxe foncière sera supportée par un autre que le débiteur légal. Mais il s’agit alors de conventions particulières non opposables à l’administration fiscale qui ne connaît que le débiteur légal. »
(Rép. min., n° 20056 : JOAN, 20 octobre 2003, p. 8013, PAILLE D. Ou encore Rép. min., n° 84548 : JOAN, 2 novembre 2010, p. 12041).
Concrètement, pour une AOT constitutive de droits réels, bien publiée au fichier immobilier, qui prévoit une clause d’attribution conventionnelle faisant reposer la charge de la taxe foncière sur le propriétaire public, le redevable légal de la taxe foncière n’en demeure pas moins l’occupant du domaine public.
Autrement dit, dans ces conditions, l’occupant en vertu de son autorisation d’occupation du domaine public est fondé à réclamer le remboursement du paiement de cette taxe auprès de la personne publique propriétaire.
Ce schéma est, en l’état, légal.
Pour autant, d’autres fondements juridiques pourraient faire obstacle à la régularité d’une telle clause.
La légalité de la clause d’une AOT constitutive de droits réels imputant la taxe foncière à une collectivité publique au regard du principe d’égalité
Au regard du principe d’égalité, une telle clause ne pose aucune difficulté.
L’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 est le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques :
« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Appliqué en matière fiscale, le principe d’égalité devant les charges publiques n’est opposable que lorsque la rupture alléguée est la conséquence de la loi fiscale.
Qu’en est-il lorsque ce n’est pas la loi fiscale qui a eu pour effet de faire peser sur la Collectivité la charge de la taxe foncière, mais bien les stipulations de l’AOT constitutive de droits réels?
Si la Collectivité a librement décidé de supporter la charge de la taxe foncière dont l’occupant est légalement redevable, le principe d’égalité n’est pas le fondement juridique adapté pour caractériser l’illégalité de la clause.
La légalité de la clause d’une AOT constitutive de droits réels imputant la taxe foncière à une collectivité publique au regard de la règlementation relative aux aides d’État
Si la clause est une aide d’Etat, par principe illégale, son montant annuel n’en reste pas moins assez faible permettant potentiellement de la qualifier d’aide de minimis parfaitement légale au regard du droit européen.
La clause d’une AOT constitutive de droits réels imputant la taxe foncière à une collectivité publique et les aides d’État
En droit,les aides d’État sont prévues à l’article 107 § 1 du TFUE:
«Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. »
Avant toute chose, rappelons qu’une aide d’État ne concerne pas que l’aide accordée par un État stricto sensu, mais également par des organismes publics et collectivités territoriales. (CJCE, 14 octobre 1987, Allemagne c/ Commission, n° C-248/84)
Pour être qualifiée comme telle, une aide d’État doit satisfaire quatre critères cumulatifs :
- – elle doit être accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État (1.),
- – elle doit être sélective (2.),
- – elle doit affecter la concurrence (3.),
- – elle doit affecter les échanges intra-Union européenne (4.).
1 – Les aides d’État ne doivent pas forcément présenter la nature d’une subvention, c’est-à-dire d’un soutien financier, pour recevoir cette qualification. Au contraire, la qualification retenue par la Cour de justice de l’Union européenne est très large.
Ainsi, toute intervention publique présentant un impact sur les dépenses ou les ressources publiques peut recevoir cette qualification si les autres critères sont remplis :
« La notion d’aide est cependant plus générale que la notion de subvention parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont d’une même nature et ont des effets identiques. » .
(CJCE, 23 février 1961, Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg, n° 30/59)
A ce titre, l’application d’un tarif bonifié pour l’achat d’électricité éolienne présente la nature d’une aide d’État (CJUE, Association vent de colère, 19 décembre 2013, n° C-262/12)et doit être annulée (CE, 28 mai 2014, Association vent de colère, n° 324852).
Il sera, d’ores et déjà relevé que les juges français et européens ne se sont jamais prononcés sur la nature d’une clause d’attribution conventionnelle mettant un impôt à la charge d’une collectivité.
Toutefois, cette clause d’attribution conventionnelle a indiscutablement un impact sur les dépenses de la collectivité. Elle est attribuée au moyen de ressources d’État.
De même, cette dépense allège les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise, soit l’occupant.
Ce premier critère doit être considéré comme rempli.
2 – L’aide doit être sélective : elle doit favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » selon l’article article 107 § 1 du TFUE.
Ainsi, une aide ne peut être regardée comme étant sélective lorsqu’elle est dite générale, c’est-à-dire lorsqu’elle s’adresse uniformément à tous les industriels du secteur.
Dans le cas où l’aide est née d’une clause contractuelle régissant exclusivement les relations entre l’occupant et la Collectivité, elle est incontestablement sélective.
3 – L’aide doit affecter la concurrence, mais cette notion d’affectation, très large, n’implique pas que la mesure menace effectivement la concurrence : il suffit que cette aide soit, dans sa nature, seulement susceptible de fausser la concurrence. L’atteinte à la concurrence ne peut donc être simplement hypothétique.
Ainsi, une aide permettant aux entreprises en difficulté de se maintenir sur un marché (alors que sans cette aide, lesdites entreprises étaient vouées à la liquidation) doit être regardée comme affectant la concurrence car elle désorganise le fonctionnement normal du marché (Commission, Décision n° 87/585/CEE, 15 juillet 1987, Boussac).
Une clause qui a pour effet de soustraire l’occupant son obligation de s’acquitter de la taxe foncière, lui procure donc un avantage économique.
Dans ces conditions, l’aide doit être regardée comme affectant la concurrence.
4 – L’aide doit affecter les échanges intra-Union européenne, mais la CJUE interprète ce critère de façon tellement extensive qu’il existe en ce domaine une quasi présomption d’affectation.
Ainsi, la CJUE considère que ce critère est rempli quand bien même l’entreprise bénéficiant de l’aide ne fournit que des services locaux ou régionaux à l’intérieur de son État d’origine, car des entreprises d’autres États-membres pourraient fournir de tels services (CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans, n° C- 280/00).
Le juge européen ne juge qu’exceptionnellement que l’aide n’a pas pour effet d’affecter les échanges intra-Union européenne et en présence de circonstances réellement exceptionnelles, comme une subvention accordée aux productions théâtrales au Pays basque, qui, en raison de ses caractéristiques linguistiques et géographiques, n’a aucune chance d’attirer des entreprises hors de son État-membre (Commission, Décision n° 254/2007, 27 juin 2007, Subventions aux productions théâtrales au Pays basque).
Il faut analyser si l’activité de l’occupant dépasse, ou non la fourniture de services locaux et régionaux.
Si tel est le cas, ce quatrième critère est indiscutablement rempli.
Il demeurera à déterminer si cette aide d’État est compatible avec le droit de l’Union européenne en termes de seuil.
La clause d’une AOT constitutive de droits réels imputant la taxe foncière à une collectivité publique constitue-t-elle une aide de minimis ?
En droit,les aides de minimis sont exclues de la prohibition des aides d’État dans la mesure où elles sont tellement « minimes » qu’elles n’ont aucun impact sur le marché.
Les aides de minimis sont qualifiées par rapport à un certain montant défini par le Règlement n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013, lequel dispose qu’une aide est de minimis lorsqu’elle est, au maximum, accordée pour un montant de 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux.
Si le montant de la décharge de la taxe foncière est supérieur à 200 000 euros sur trois exercices fiscaux, la clause ne pourra intégrer le champ des aides de minimis et devra faire l’objet d’une déclaration.
Du point de vue du droit national, on pourra s’interroger sur le fait que ce type d’aide ressort ou non de la compétence de la collectivité concernée et répond à un intérêt local. Ce point ne doit pas être négligé.
Conclusion
La clause de l’AOT constitutive de droit réel mettant la taxe foncière à la charge d’une collectivité est, en principe, conforme au droit.
Toutefois, elle ne modifie pas l’identité du redevable au regard de l’administration fiscale et doit respecter la réglementation relative aux aides d’État. Une analyse contextuelle est donc indispensable pour vérifier sa légalité, notamment au regard de son impact financier et de la concurrence.
Cet article s’inscrit dans une démarche pédagogique visant à clarifier les enjeux juridiques liés aux relations contractuelles entre les collectivités publiques et leurs partenaires privés. Pour toute question ou accompagnement, notre cabinet est à votre disposition.
(Un article rédigé en collaboration avec Jérémi Menozzi)