Par un arrêt du 30 juillet 2024 (n° 470756), le Conseil d’Etat réaffirme le principe de la liberté de l’acheteur public de s’écarter de l’avis du jury du concours. Et plus encore, le Conseil d’Etat limite son contrôle des motifs ayant conduit au choix de l’acheteur public à l’erreur manifeste d’appréciation.
Le Concours de maîtrise d’oeuvre : quelques rappels synthétiques
Définition du concours de maîtrise d’oeuvre
Pour reprendre les dispositions de l’article L. 2125-1 du Code de la commande publique, le concours est une technique d’achat par laquelle l’acheteur public « choisit, après mise en concurrence et avis d’un jury, un plan ou un projet ».
Le déroulement du concours de maîtrise d’oeuvre
Sans entrer dans les détails, après la publication d’un avis de concours (article R. 2162-15 du Code de la commande publique), le concours se déroule en deux étapes :
- – première étape : l’acheteur public fixe, au vu de l’avis du jury, la liste des candidats admis à concourir tout en informant les candidats non retenus (article R. 2162-16 du Code de la commande publique) ;
- – deuxièmement étape : le jury examine les plans et projets présentés de manière anonyme par les opérateurs économiques admis à participer au concours, sur la base des critères d’évaluation définis dans l’avis de concours (article R. 2162-18 du Code de la commande publique).
Et, sur la base des procès-verbaux et de l’avis du jury, l’acheteur public choisit le ou les lauréats du concours (article R. 2162-19 du Code de la commande publique).
A noter que l’avis du jury doit être motivé sous peine d’entacher la procédure d’irrégularité :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que dans sa délibération en date du 23 juin 1988, le jury à qui il revenait d’apprécier les mérites comparés de quatre projets, s’il a écarté l’un d’entre eux en relevant qu’il ne répondait pas au programme proposé, n’a formulé aucune considération de nature technique ou financière à l’appui de ses choix qui l’ont conduit à retenir deux projets en « donnant sa préférence » pour l’un d’entre eux ; que, dans ces conditions, en ne mettant pas la collectivité concernée à même de se déterminer au vu de telles considérations, il a méconnu l’obligation qui lui était faite par la disposition précitée de motiver son avis ; que, dès lors, la procédure de passation du marché litigieux doit être regardée comme entachée d’irrégularité » .
(CE, 23 octobre 1992, nº 107107)
Le choix du ou des lauréats : quelle marge de manoeuvre pour l’acheteur public ?
Une liberté de choix initialement limitée
Comme rappelé précédemment, le choix du ou des lauréats relève de l’office de l’acheteur public, qui, pour ce faire, va s’appuyer sur les procès-verbaux et l’avis du jury.
Pour autant, le Conseil d’Etat vient de juger qu’en application des dispositions relatives au concours :
« l’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis émis par le jury du concours et qu’il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury » (CE, 30 juillet 2024, n° 470756).
Le Conseil d’Etat consacre sans détour la souveraineté de l’acheteur public dans le choix du ou des lauréats du concours.
Cette liberté n’est en soi pas nouvelle mais la formulation employée l’est, accentuant la liberté de l’acheteur public, jusqu’alors conditionnée, encadrée.
En effet, précédemment, si le juge administratif reconnaissait la liberté de l’acheteur public, ce dernier devait rendre publics les motifs de son choix :
« qu’il résulte de ces dispositions que le conseil municipal de Béziers n’était pas tenu de suivre l’avis émis par le jury du concours et qu’il pouvait, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury, à la condition de rendre publics les motifs de ce choix » .
(CE, 10 octobre 1994, n° 121257)
Ou encore :
« Considérant qu’il appartient à l’exécutif de la collectivité de désigner le ou les lauréats du concours avec lesquels s’ouvre la phase de négociation en vue de la conclusion du marché ; que, s’il n’est pas lié par l’avis du jury et peut notamment porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé en premier par le jury, il doit alors rendre publics les motifs de ce choix » .
(TA Poitiers, 1er juillet 2015, n° 1300390)
A cet égard, la Cour administrative d’appel de Lyon, justement annulée par le Conseil d’Etat le 30 juillet 2024, a encadré encore davantage la marge de manoeuvre de l’acheteur pour se détourner de l’avis du jury :
« Pour inverser le classement des offres opéré par le jury, lequel, en application des dispositions précitées de l’article 88 du décret du 25 mars 2016, se fonde exclusivement sur les critères d’évaluation annoncés par le règlement du concours, en attribuant des notes de façon objective accompagnées d’appréciations mentionnées au procès-verbal, le représentant du pouvoir adjudicateur doit être en mesure de justifier sa divergence, notamment, d’expliquer en quoi les motifs qu’il privilégie doivent manifestement prévaloir sur le classement établi dans le respect des règles publiées de la consultation ».
(CAA Lyon, 24 novembre 2022, n° 20LY00105)
Si l’avis ne lie pas, pour la Cour administrative de Lyon, l’acheteur public doit être en mesure d’expliquer en quoi les motifs retenus prévalent manifestement sur le classement établi par le jury.
Force est de constater qu’au regard de l’arrêt de la Cour administrative de Lyon, la liberté de choix de l’acheteur public est quelque peu théorique.
C’est bien cette lecture que le Conseil d’Etat vient sanctionner.
Une liberté de choix renouvelée
Le Conseil d’Etat propose effectivement une nouvelle approche de la liberté de choix de l’acheteur public face à l’avis du jury de concours :
« L’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis émis par le jury du concours et qu’il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury ».
(CE, 30 juillet 2024, n° 470756)
Et, le Conseil d’Etat sanctionne l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon dans la mesure où il n’existe aucune dispositions ni d’aucun principe général selon lequel « l’acheteur ne pourrait s’écarter de l’avis du jury qu’à la condition que l’offre qu’il retient soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury » (CE, 30 juillet 2024, n° 470756).
Pour écarter l’avis du jury du concours, il n’y a, donc, pas lieu d’expliciter en quoi les motifs privilégiés par l’acheteur public prévalent manifestement sur le classement établi dans le respect des règles publiées de la consultation.
Autrement dit, rien n’impose que l’offre retenue par l’acheteur soit manifestement meilleure que celle proposée par le jury.
Et, en l’espèce, statuant au fond, le Conseil d’Etat a pu relever que pour écarter l’offre classée première par le jury, l’acheteur public avait relevé que le projet :
- – dépassait substantiellement l’enveloppe prévisionnelle des travaux ;
- – nécessitait un important percement d’une façade, la suppression totale des murs de refend et la création d’un grand escalier central monumental.
Ainsi, pour le Conseil d’Etat, en retenant l’offre d’un autre participant au concours plutôt que l’offre retenue par le jury, l’acheteur public n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation au regard des motifs retenus.
Par conséquent, l’intérêt de cet arrêt réside également dans le contrôle exercé par le juge administratif. Il s’agit d’un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation.