La dernière née des Cours administratives d’appel, j’ai nommé la Cour administrative d’appel de Toulouse, a récemment rappelé, dans un arrêt du 11 juillet 2023, la règle immuable en matière de sortie d’un bien du domaine public : faute de désaffectation matérielle réelle, le déclassement juridique ne suffit pas, à lui seul, pour sortir un bien du domaine public.
La sortie d’un bien du domaine public : désaffectation et déclassement
Nous le savons, le domaine public n’est pas figé et les personnes publiques ne sont pas contraintes d’y conserver éternellement toutes les dépendances qui s’y trouvent.
Pour autant, sachant que le régime de la domanialité publique est un régime juridique destiné à protéger, non pas le bien appartenant à une personne publique, mais son affectation, la sortie du domaine public nécessitera le respect d’un certain formalisme, contrairement à l’entrée dans le domaine public.
La procédure est définie à l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publique :
« Un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement ».
Autrement dit, pour sortir du domaine public, deux étapes fondamentales sont, en principe – et donc sauf exceptions légales – à respecter :
- – la désaffectation du bien ;
- – le déclassement juridique du bien.
En principe, effectivement, car le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit des exceptions en instaurant, notamment, le principe du déclassement par anticipation (article L. 2141-2 du Code général de la propriété des personnes publiques).
Première étape pour sortir un bien du domaine public : la désaffectation matérielle du bien
Il ressort d’une lecture littérale de l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publique que l’acte administratif constatant le déclassement du bien, point de départ de la sortie du domaine public, consacré en quelque sorte la désaffectation dudit bien.
La désaffectation est, ainsi, la première étape qui sera constatée dans l’acte de déclassement.
Le bien ne doit plus être affecté à l’utilité publique, soit à un service public ou à l’usage direct du public.
Cette désaffectation doit être réelle, elle doit être matérielle :
« la désaffectation d’un bien du domaine public, à la différence du déclassement qui exige un acte formel de la collectivité propriétaire de ce bien, résulte d’un état de fait ».
(CAA Toulouse, 11 juillet 2023, n° 21TL03516)
En pratique, nous conseillons de se constituer par tous moyens des preuves de cette désaffection (plans, photographies, constats, etc…).
Le propriétaire du bien concerné doit être en mesure de pouvoir démontrer que le bien n’est effectivement plus affecté à l’usage direct du public ou à un service public.
Conséquences pratiques et juridiques d’une désaffectation insuffisante
Faute de pouvoir justifier cette désaffectation réelle, le bien n’est pas sorti du domaine public et le déclassement ainsi que la cession sont nécessairement illégaux.
La jurisprudence est bien établie en la matière :
« Considérant qu’il ressort des pièces et notamment des nombreuses attestations produites par les intimés que le chemin rural reliant Lambach et Lemberg est utilisé par les habitants des deux communes comme lieu de promenade et voie de circulation pédestre, cycliste, équestre et motorisée ; que d’ailleurs, par courrier daté du 20 janvier 2009, le président de la section du club vosgien de Lemberg a indiqué au commissaire enquêteur que ledit chemin faisait partie d’un itinéraire de randonnée circulaire d’une longueur de 20 kilomètres et qu’il entreprenait les démarches en vue de son inscription au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée établi par le département conformément aux dispositions de l’article L. 361-1 du code de l’environnement ; que cet état de fait est reconnu par le commissaire enquêteur et ceci quand bien ce dernier souligne que les communes de Lambach et Lemberg peut être reliées par d’autres voies ; que le conseil municipal de la COMMUNE DE LAMBACH a lui-même reconnu, dans la motivation de la délibération querellée que ledit chemin était une voie de circulation en souhaitant que le futur propriétaire devait s’engager à autoriser le passage des piétons et de cyclistes ; qu’ainsi, comme l’a jugé à bon droit le tribunal qui n’a commis ni erreur de fait, ni erreur de droit en se bornant à retranscrire les propos que le maire de Lemberg avait adressés au commissaire enquêteur par courrier daté du 15 janvier 2009, le chemin rural situé au lieu-dit Loeschersbach ne pouvait, pour ce seul motif, être regardé comme ayant cessé d’être affecté à l’usage du public ; que son état de désaffectation ne pouvait par conséquent être constaté ; que, dès lors, il ne pouvait pas faire l’objet d’une vente en vertu des dispositions de l’article L. 161-10 du code rural et la pêche maritime ».
(CAA Nancy, 29 septembre 2011, n° 11NC00405).
Et dans son arrêt du 11 juillet 2023, la Cour administrative d’appel de Toulouse s’inscrit pleinement dans cet esprit :
« La communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole a tout d’abord fait valoir que la délibération du 15 février 2018 portant réduction du champ d’application du règlement intérieur du marché de gros Perpignan Méditerranée visait à tirer les conséquences de la perte d’affectation de la halle aux grossistes au service public organisant la commercialisation des fruits et légumes issus de la production locale.
33. Si la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole sollicite une substitution de motif tirée de ce que la réduction du périmètre du marché de gros était justifiée par la désaffectation de la halle aux grossistes, il est toutefois constant qu’à la date de la délibération attaquée, le hall B de cette halle restait occupé par la société Expo Fruits, qui exploitait les entrepôts n° 12, n° 13 et n° 17 d’une superficie de 1 000 m² de ce hall et écoulait des fruits et légumes issus de la production locale. À cet égard, sur les 8 000 tonnes de marchandises échangées annuellement sur le marché de gros de Perpignan, halle aux carreaux et halle aux grossistes confondues, la société Expo Fruits a commercialisé, en 2018, 650 tonnes de marchandises provenant des producteurs locaux du marché, ce qui représente, pour cet opérateur, 8,12 % des marchandises échangées sur le marché de gros. Il en résulte que les bâtiments de la halle aux grossistes ne pouvaient pas être regardés comme étant entièrement désaffectés à la date de la délibération attaquée ».
(CAA Toulouse, 11 juillet 2023, n° 21TL03516).
Autrement dit, dès lors que la désaffectation d’un bien du domaine public n’est pas réelle et matérielle, la délibération actant son déclassement est nécessairement illégale.
Seconde étape pour sortir un bien du domaine public : l’acte juridique de déclassement du bien
Comme annoncé précédemment, la seule désaffectation est insuffisante pour sortir un bien du domaine public.
La désaffectation réelle et matérielle n’est, ainsi, qu’une première étape qui doit nécessairement être suivie d’une acte juridique de déclassement qui vient constater cette désaffectation.
La désaffectation exige d’un acte formel de la collectivité propriétaire du bien.
D’une part, la sortie du domaine public dépendra de cet acte acte juridique de déclassement :
« Considérant que, hors le cas où il est directement affecté à l’usage du public, l’appartenance au domaine public d’un bien était, avant l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ; que l’immeuble qui comprenait deux bâtiments était affecté au service public de la gendarmerie nationale ; qu’à cet effet, chacun de ces bâtiments était aménagé en vue de son affectation à ce service public et comportait des éléments tels que des chambres de sûreté, destinées, notamment, à la rétention et au dégrisement des personnes interpellées, un bureau d’accueil du public, deux bureaux, deux salles d’archives ; que les six logements des gendarmes se situaient dans chacun de ces deux bâtiments et n’en étaient pas dissociables ; que, par suite, cet immeuble appartenait dans son ensemble au domaine public de la commune ; qu’en l’absence de tout acte de déclassement il avait conservé ce caractère à la date de la cession, le 26 mars 2004, sans qu’y fassent obstacle les circonstances qu’avant cette date, il n’était plus affecté à la gendarmerie et que l’acte de vente mentionnait que le bien appartenait au domaine privé de la commune ».
(CE, 7 mai 2012, n° 342107).
D’autre part, et comme exposé précédemment, la légalité de cet acte juridique de déclassement dépendra de la réalité de la désaffectation (CAA Toulouse, 11 juillet 2023, n° 21TL03516).
A cet égard, la juridiction administrative précise que l’acte juridique de déclassement ne saurait avoir pour effet la désaffectation du bien concerné :
« La délibération portant réduction du périmètre du champ d’application du règlement intérieur du marché de gros de Perpignan ne pouvait avoir ni pour objet ni pour effet d’entraîner la désaffectation de la halle aux grossistes ».
(CAA Toulouse, 11 juillet 2023, n° 21TL03516).
Le déclassement constate la désaffectation préalable du bien.
Irrégularité de la procédure de sortie du domaine public : annulation en cascade et nullité de la vente
Le juge administratif rappelle que :
« l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l’annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n’auraient pu légalement être prises en l’absence de l’acte annulé ou qui sont en l’espèce intervenues en raison de l’acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l’acte annulé et de celles dont l’acte annulé constitue la base légale ».
(CAA Toulouse, 11 juillet 2023, n° 21TL03516).
Ce principe est d’autant plus important que la sortie d’un bien du domaine public est, bien souvent, réalisée dans un but particulier, pour l’accomplissement d’un projet comme la cession du bien.
Or, en application de l’article L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, « les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».
Sur ce point, la Cour administrative de Toulouse souligne qu’en raison du principe d’inaliénabilité, la cession d’un bien appartenant au domaine public constitue une illégalité d’une particulière gravité.
Cette grave illégalité justifie qu’il soit enjoint au propriétaire du bien concerné de saisir le juge judiciaire du contrat, afin qu’il tire les conséquences de l’annulation de la décision autorisant la cession du bien du domaine public.
Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse, s’il n’est pas totalement novateur, présente une bonne synthèse des principes régissant la sortie du domaine public et rappelle utilement les risques encourus en cas de procédure irrégulière.
Nous ne répéterons jamais assez qu’il faut être tout particulièrement vigilant à toutes les étapes préalables à la sortie d’un bien du domaine public.
L’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine public l’emporteront toujours !
Nous sommes évidemment à votre disposition pour vous accompagner et sécuriser vos procédures.