Dans un arrêt du 14 février 2022 (CE, 14 février 2022, n° 431760), le Conseil d’État rappelle que « lorsque le juge administratif annule une décision ayant évincé un agent occupant un emploi unique, l’intéressé bénéficie, en exécution de cette annulation, d’un droit à réintégration dans l’emploi unique dont il a été écarté, au besoin après retrait de l’acte portant nomination de l’agent irrégulièrement désigné pour le remplacer ».
L’intérêt de cet arrêt réside surtout dans le modus operandi présenté par le Conseil d’État.
Le droit à réintégration de l’agent illégalement évincé
Ainsi le Conseil d’État précise le droit à réintégration de l’agent illégalement évincé :
« lorsque le juge administratif annule une décision ayant évincé un agent occupant un emploi unique, l’intéressé bénéficie, en exécution de cette annulation, d’un droit à réintégration dans l’emploi unique dont il a été écarté » .
(CE, 14 février 2022, n° 431760)
Cette solution jurisprudentielle s’inscrit dans un mouvement puisque dès 2009, cette position a pu être consacrée :
« en cas d’annulation de la décision de révocation de M. B, laquelle a d’ailleurs été effectivement prononcée, l’intéressé bénéficie, en exécution d’une telle annulation, d’un droit à réintégration dans l’emploi unique de secrétaire général dont il a été écarté, sans que la chambre puisse y faire obstacle en lui opposant la nomination de son successeur à ce poste » .
(CE, 8 avril 2009, n° 289314)
Ce droit à réintégration ne saurait être remis en cause en raison de la nomination d’un agent sur l’emploi.
Attention, ce droit n’en demeure pas moins sujet à deux limites.
Les limites du droit à réintégration de l’agent illégalement évincé
Le droit à réintégration de l’agent illégalement évincé d’un emploi unique
Depuis 2009, le Conseil d’État ne définit pas la notion d’emploi unique.
Il ressort de la jurisprudence :
- – dans l’arrêt de 2009, il s’agissait de l’emploi de secrétaire général de la chambre des métiers et de l’artisanat de la Moselle.
- – dans l’arrêt du 14 février 2022, qui nous intéresse, l’agent est évincé du poste de directeur de l’agence du tourisme de la Corse.
Comme le précise le rapporteur public Dacosta, dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État du 8 avril 2009, l’emploi unique correspond au cas où « le fonctionnaire, par définition, ne peut retrouver d’emplois identiques ou équivalents ».
Ainsi, le droit à réintégration n’est, en l’état de la jurisprudence, garanti qu’aux agents occupant un tel emploi unique.
L’édiction d’une nouvelle décision légale d’éviction
Le Conseil d’Etat identifie une hypothèse dans laquelle l’agent n’est plus en mesure de revendiquer son droit à réintégration, à savoir le cas où a été prise une nouvelle décision « mettant fin, sans effet rétroactif, aux fonctions de l’agent illégalement évincé est susceptible de faire obstacle à sa réintégration effective dans les fonctions relevant de cet emploi unique » (CE, 14 février 2022, n° 431760).
Ainsi, dès lors, que l’administration prend une nouvelle décision d’éviction, non rétroactive, c’est-à-dire qu’on ne se situe pas dans le champ du retrait, alors l’agent perd tout droit à réintégration.
Bien évidemment, la nouvelle décision d’éviction pourra faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.
Par ailleurs, l’agent évincé, deux fois, pourra théoriquement engager la responsabilité de l’administration et, ainsi, obtenir l’indemnisation du préjudice né de l’illégalité de la première décision d’éviction, en application de la jurisprudence Driancourt.
La réintégration de l’agent illégalement évincé implique le retrait de la nomination de son successeur
Le second apport de l’arrêt du Conseil d’État du 14 février 2022 réside ainsi dans l’explication des conséquences tirées de cette obligation de réintégration.
En effet, le Conseil d’État avait pu juger que :
« qu’il en résulte que, s’il lui était loisible de présenter, à l’occasion de sa demande tendant à l’annulation de la décision prononçant sa révocation, des conclusions tendant à ce qu’il fût enjoint, éventuellement sous astreinte, à la chambre de le réintégrer dans le poste de secrétaire général, nonobstant la nomination de son successeur, M. B ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de la décision du 5 juin 2001 nommant M. C secrétaire général de la chambre ».
(CE, 8 avril 2009, n° 289314)
Cette solution jurisprudentielle n’était pas totalement opérationnelle, dans la mesure où l’agent illégalement évincé ne disposait pas d’action directe contre la nomination de son successeur et, donc, de moyen de faire directement valoir son droit à réintégration.
C’est en cela que l’arrêt du 14 février 2022 apporte une solution intéressante.
En effet, le Conseil d’État vise l’effectivité de ce droit à réintégration dans l’emploi.
Ce droit implique au besoin le retrait de l’acte portant nomination de l’agent irrégulièrement désigné pour le remplacer (CE, 14 février 2022, n° 431760).
Par conséquent, la réintégration impose à l’administration de procéder à l’éviction du nouvel agent nommé sur l’emploi unique.
Le retrait de la nomination de l’agent remplaçant ne vaut pas licenciement
Le Conseil d’État va, ainsi, au bout de sa logique.
Le droit à réintégration implique le retrait de la nomination de l’agent remplaçant, puisque cette nomination est, de fait, irrégulière.
Néanmoins, ce retrait ne vaut pas licenciement :
« le retrait de l’acte portant nomination de l’agent désigné pour remplacer un agent illégalement évincé et réintégré dans l’emploi unique qu’il occupait, prononcé pour l’exécution d’un jugement d’annulation, ne constitue pas une mesure de licenciement et peut intervenir sans que soit recherché au préalable le reclassement de l’intéressé » .
(CE, 14 février 2022, n° 431760)
Ainsi, le malheureux agent qui se retrouve ainsi privé de son emploi subit, en quelque sorte, une double peine.
Déjà privé de son emploi, il ne bénéficie pas, en outre, des droits et garanties liés à la procédure de licenciement d’un agent public, comme l’obligation de reclassement ou encore le droit au respect du préavis.
Évidemment, une action indemnitaire est susceptible d’être envisagée pour réparer le potentiel préjudice né de cette cascade de décisions administratives.