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Développement des « dark stores », quels outils de réglementation pour les collectivités locales ?

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Développement des « dark stores », quels outils de réglementation pour les collectivités locales ?

« Dark store », « dark kitchen », terminologies barbares qui désignent un phénomène émergeant depuis le premier confinement de 2020, à savoir le développement de commerces destinés à assurer un service de livraison rapide de denrées alimentaires ou de plats cuisinés.

Il s’agit, donc, de restaurants et de magasins généralement installés et aménagés au rez-de-chaussée des immeubles. Sans accueil du public, tout le concept de ces nouveaux commerces repose sur la livraison rapide des commandes effectuées, en ligne, par les consommateurs.

Si ce nouveau type de commerces alimentaires de proximité constitue une aubaine pour certains, d’autres, les riverains ou les collectivités locales, y voient un fléau, source de nuisances (nuisances sonores, risques d’accidents liés à la circulation de livreurs sur les trottoirs, etc…) et de perte d’attractivité du centre ville.

Face à ces nouveaux acteurs de la consommation, quelle réglementation et biais d’action existe-t-il pour les collectivités locales ?

Le Gouvernement, conscient des difficultés engendrées a mis à disposition un guide listant la réglementation susceptible d’être appliquée aux « dark stores ».

Commerce ou entrepôt  ? la nature de l’activité exercée par le « dark store » est tranchée

L’identification de l’activité est fondamentale des « dark stores », puisqu’il en découle la destination de la construction.

En principe, le « dark store » a vocation à assurer exclusivement la livraison de denrées alimentaires. Dans ces conditions, au titre des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme, le « dark store » doit, en principe, être considéré comme un entrepôt.

En effet, conformément à l’article 3 de l’arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu, la destination de construction « commerce et activité de service » implique un service de présentation et de vente de biens directe à une clientèle.

Ce n’est pas le cas des « dark stores » qui, dans leur grande majorité, excluent tout accueil et accès du public. Dès lors, il ne peut s’agir que d’entrepôts, c’est-à-dire des constructions destinées au stockage des biens ou à la logistique (article 5 de l’arrêté du 10 novembre 2016).

Evidemment, la destination aurait pu basculer en « commerce et activité de service » à partir du moment où est mis en place un système de « drive », c’est-à-dire, un comptoir de retrait de marchandises ouvert au public.

Pour éviter toute fraude, le guide du gouvernement a précisé que l’ouverture au public devrait respecter les horaires habituels d’un commerce.

Finalement, le Conseil d’Etat vient de trancher cette question de qualification.

La jurisprudence administrative classe les « dark stores » en entrepôt :

« Il ressort des pièces du dossier que les locaux occupés par la société Frichti et la société Gorillas Technologies France, qui étaient initialement des locaux utilisés par des commerces, sont désormais destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette. Ils ne constituent plus, pour l’application des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme, tels que précisés par l’arrêté du 10 novembre 2016 cité ci-dessus, des locaux  » destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle  » et, même si des points de retrait peuvent y être installés, ils doivent être considérés comme des entrepôts au sens de ces dispositions. L’occupation de ces locaux par les sociétés Frichti et Gorillas Technologies France pour y exercer les activités en cause constitue donc un changement de destination, soumis, en application de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme à déclaration préalable. Dès lors, la ville de Paris était en droit d’exiger des sociétés requérantes le dépôt d’une déclaration préalable.  » .

(CE, 23 mars 2023, n° 468360)

Et le Conseil d’Etat confirme la qualification d’entrepôt alors même la mise en place de points de retrait pour la clientèle.

Pourquoi la question de la destination du « dark store » est importante ?

Premièrement, sachant qu’un « dark store » est, donc, un entrepôt, la commune peut, par son PLU, soumettre à règlementation particulière l’implantation sur son territoire de ces activités.

Secondement, la détermination de l’activité réelle du « dark store » est, partant, fondamentale dans la mesure où l’installation d’un « dark store » pourrait nécessiter, le cas échéant, une demande de changement de destination. Autrement dit, la commune disposerait d’un outil urbanistique pour s’opposer à la multiplication de ce type de commerce fantôme.

C’est justement ce qui a permis à la Ville de Paris d’obtenir la restitution de locaux à leur activité d’origine, soit des commerces (CE, 23 mars 2023, n° 468360).

Le plan local d’urbanisme, outil d’encadrement pour réglementer l’implantation de « dark stores » 

Par, notamment, deux outils juridiques, le PLU est une arme pertinente pour règlementer l’implantation de « dark stores » sur le territoire communal.

Le nécessaire travail de définition des activités autorisées dans les zones du pian local d’urbanisme

Aux termes de l’article L. 151-9 du code de l’urbanisme : 

« Le règlement délimite les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger.

Il peut préciser l’affectation des sols selon les usages principaux qui peuvent en être faits ou la nature des activités qui peuvent y être exercées et également prévoir l’interdiction de construire.

Il peut définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées ».

Aujourd’hui, la problématique des « dark stores » doit être intégrée dans les PLU.

L’autorité territoriale, en définissant précisément, les destinations et sous-destinations autorisées en fonction des zones du PLU, peut exclure ou en tout cas réglementer l’implantation des « dark stores ».

L’article L. 151-16 du code de l’urbanisme : la préservation de la diversité commerciale

L’article L. 151-16 du code de l’urbanisme dispose :

« Le règlement peut identifier et délimiter les quartiers, îlots et voies dans lesquels est préservée ou développée la diversité commerciale, notamment à travers les commerces de détail et de proximité, et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer cet objectif.

Il peut également délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels la préservation ou le développement d’infrastructures et d’équipements logistiques est nécessaire et définir, le cas échéant, la nature de ces équipements ainsi que les prescriptions permettant d’assurer cet objectif ».

Et, appliquant ces dispositions, le Tribunal administratif de Versailles a pu juger légale l’interdiction, pour des motifs d’urbanisme, d’exercice de certaines activités économiques dans une zone, sans porter atteinte а la liberté du commerce et de l’industrie, sous réserve que cette interdiction, selon la formule classique, ne soit ni générale, ni absolue (TA Versailles, 25 mars 2008, Sté Immo-concept, n° 0707895).

Ainsi, les dispositions du PLU visant а contrôler l’évolution des locaux commerciaux et artisanaux, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété (CAA Paris, 2 avril 2009, Ville de Paris, n° 07PA03868).

En définitive, ces restrictions d’implantation doivent être : 

  • – fondées sur des motifs d’urbanisme et non de concurrence, 

  • – strictement circonscrites géographiquement, 

Sous réserve de respecter la jurisprudence, l’article L. 151-16 du code de l’urbanisme qui permet la préservation de la diversité commerciale est un levier pour limiter et réglementer l’implantation de « dark stores ».

Les orientations d’aménagement et de programmation 

Les articles L. 151-6 et L. 151-7 du Code de l’urbanisme définissent de la sorte les orientations d’aménagement et de programmation.

L’article L. 151-6 du code de l’urbanisme dispose :

« Les orientations d’aménagement et de programmation comprennent, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, des dispositions portant sur l’aménagement, l’habitat, les transports et les déplacements.

En l’absence de schéma de cohérence territoriale, les orientations d’aménagement et de programmation d’un plan local d’urbanisme élaboré par un établissement public de coopération intercommunale comprennent les dispositions relatives à l’équipement commercial et artisanal mentionnées aux articles L. 141-16 et L. 141-17. »

L’article L. 151-7 du code de l’urbanisme ajoute :

 « Les orientations d’aménagement et de programmation peuvent notamment :

1° Définir les actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur l’environnement, notamment les continuités écologiques, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine, lutter contre l’insalubrité, permettre le renouvellement urbain et assurer le développement de la commune ;

2° Favoriser la mixité fonctionnelle en prévoyant qu’en cas de réalisation d’opérations d’aménagement, de construction ou de réhabilitation un pourcentage de ces opérations est destiné à la réalisation de commerces ;

3° Comporter un échéancier prévisionnel de l’ouverture à l’urbanisation des zones à urbaniser et de la réalisation des équipements correspondants ;

4° Porter sur des quartiers ou des secteurs à mettre en valeur, réhabiliter, restructurer ou aménager ;

5° Prendre la forme de schémas d’aménagement et préciser les principales caractéristiques des voies et espaces publics ;

6° Adapter la délimitation des périmètres, en fonction de la qualité de la desserte, où s’applique le plafonnement à proximité des transports prévu aux articles L. 151-35 et L. 151-36. »

Les orientations d’aménagement et de programmation expriment de manière qualitative les ambitions et la stratégie d’une collectivité territoriale en termes d’aménagement.

A noter que les orientations d’aménagement et de programmation ne sont pas un élément obligatoire du PLU, et si les auteurs du PLU décident d’en élaborer, ils ne sont nullement tenus de le faire pour l’ensemble du territoire couvert par le PLU (CAA Marseille, 29 octobre 2015, n° 13MA04199).

En tout état de cause, les orientations d’aménagement et de programmation peuvent permettre de définir les conditions d’implantation des équipements commerciaux que sont les « dark stores ».

La nécessité d’une autorisation d’urbanisme en cas de changement de destination

On l’aura compris, en fonction de l’activité du « dark store », ce dernier relève, soit de la destination « commerce »,  soit de la destination « autres activités secondaires et tertiaires ».

Ainsi, en tant que commerce, le « dark store » peut être soumis à l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale de l’article L. 752-1 du code du commerce, de sorte que l’autorité territoriale est en mesure de veiller à l’existence ou à la validité de cette autorisation d’exploitation commerciale. 

Et par ailleurs, la nécessité d’un changement de destination doit être envisagée. 

En fonction, la destination initiale de la construction, le changement de destination potentiel sera soumis à autorisation d’urbanisme, permis de construire oui autorisation préalable en fonction des travaux à réaliser (article R. 421-14 et 421-17 du code de l’urbanisme).

Et, nous savons que le changement de destination non autorisé est sanctionné :

– sanction administrative ;

– sanction fiscale ;

– sanction pénale.

Par conséquent, le contrôle de la destination du « dark store » constitue un levier pour l’autorité territoriale qui pourra vérifier utilement si la destination du « dark store » est compatible avec les règles d’urbanisme d’occupation des sols.

Le droit de préemption commercial pour lutter contre l’implantation de « dark stores »

Il est toujours possible pour les communes de mettre en place le droit de préemption commercial prévu aux articles L. 214-1 et suivants et R. 214-1 et suivants du code de l’urbanisme. 

Ce droit de préemption spécial est prévu par l’article L.214-1 du code de l’urbanisme, qui dispose :

« Le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, à l’intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux.

A l’intérieur de ce périmètre, sont également soumises au droit de préemption visé à l’alinéa précédent les aliénations à titre onéreux de terrains portant ou destinés à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés.

Chaque aliénation à titre onéreux est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le cédant à la commune. Cette déclaration précise le prix, l’activité de l’acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant, la nature de leur contrat de travail et les conditions de la cession. Elle comporte également le bail commercial, le cas échéant, et précise le chiffre d’affaires lorsque la cession porte sur un bail commercial ou un fonds artisanal ou commercial.

Le droit de préemption est exercé selon les modalités prévues par les articles L.213-4 à L.213-7. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant le délai de deux mois à compter de la réception de cette déclaration vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption. Le cédant peut alors réaliser la vente aux prix et conditions figurant dans sa déclaration ». 

Ces dispositions générales sont précisées par l’article R. 214-3 du code de l’urbanisme, aux termes duquel :

« Le droit de préemption institué en application de l’article L. 214-1 peut s’exercer sur les biens suivants, lorsqu’ils sont aliénés à titre onéreux :

a) Les fonds artisanaux, les fonds de commerce ou les baux commerciaux ;

b) Les terrains portant des commerces ou destinés à porter des commerces dans un délai de cinq ans à compter de leur aliénation, dès lors que ces commerces sont des magasins de vente au détail ou des centres commerciaux au sens de l’article L. 752-3 du code de commerce, ayant une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés.

Le présent article ne s’applique pas aux biens ou droits qui sont inclus dans la cession d’une ou de plusieurs activités prévue à l’article L. 626-1 du code de commerce ou dans le plan de cession arrêté en application de  l’article L. 631-22 ou des articles L.642-1 à L.642-17du code de commerce ».

Ce dispositif prévoit que le conseil municipal délibère pour délimiter un « périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité » à l’intérieur duquel sont soumises au droit de préemption, les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. 

Si le périmètre de sauvegarde du commerce, il faut encore que la décision de préemption soit motivée par une volonté de maintien d’activités économiques :

« l’acquisition des baux commerciaux par la commune de Cahors est fondée sur le motif tiré de ce que la diversité commerciale de l’offre doit être maintenue, notamment dans le secteur Gambetta identifié comme prioritaire, et que l’activité bancaire exercée par le cessionnaire compromet cet objectif, dès lors que le centre ville compte déjà un nombre important de locaux affectés à des activités de service, à savoir 66 sur 200 cellules commerciales recensées. Ces décisions, qui ont pour objet d’organiser le maintien d’activités économiques au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, comportent l’énoncé des circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement, et répondent ainsi aux exigences de motivation prévues par les dispositions précitées de l’article L. 210-1 du même code, quand bien même les données chiffrées dont a fait état la commune sont issues de l’étude commerciale annexée à la délibération du 2 décembre 2009. Le moyen tiré de l’insuffisance de motivation des décisions de préemption contestées doit, dès lors, être écarté. »

(CAA Bordeaux, 12 juillet 2016, n°14BX03382).

Face au développement, parfois jugé excessif, des « dark stores », les collectivités ne sont pas totalement démunies. 

Le code de l’urbanisme offre un panel d’outils pour assurer la règlementation ces nouvelles activités commerciales que votre avocat peut vous aider à mettre en oeuvre.

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