Question pratique récurrente relative au changement de destination non autorisé : quelles sanctions en cas d’affectation à titre d’habitation d’un bâtiment disposant d’une autre destination que l’Habitation ?
Pour aborder cette question, nous partirons du postulat que l’opération d’urbanisme est réalisée sans fraude au permis.
Nous n’aborderons pas ici le cas d’un bail, situation particulière, car le bailleur peut être lourdement condamné et le bail être réputé sans effets.
Nous n’aborderons pas les cas spécifiques du changement d’usage qui, dans certaines situations, est soumis à autorisation, ce qui peut créer une problématique supplémentaire à la question du changement de destination (voir en ce sens l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation).
La sanction administrative liée au changement de destination non autorisé
Le Conseil d’Etat a rappelé que sauf fraude, c’est-à-dire le cas où depuis l’origine, l’objectif du montage était de contourner un changement de destination, le changement d’usage n’a pas d’incidence sur l’autorisation de construire.
Le risque peut-être, en cas de découverte, que le propriétaire ne puisse plus demander d’autorisation d’urbanisme sur la même unité foncière tant que la non conformité n’est pas régularisée (CE, 9 juillet 1986, Thalamy, n° 51172 ou encore CE, 30 mars 1994, Gigoult, n° 137881).
Pour autant, une incertitude juridique perdure.
En effet, le Conseil d’Etat a rendu différentes décisions quelques peu contradictoire créant un flou :
– postérieurement à la jurisprudence Thalamy, la jurisprudence penchait pour la destination effective, écartant, ainsi, toute obligation de régularisation :
«Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le bâtiment faisant l’objet de la déclaration de travaux en cause était déjà à usage d’habitation à la date de cette déclaration ; qu’il est constant que les travaux qui ont été déclarés, n’ont pas pour effet de changer la destination de ce bâtiment ; que si Mme C soutient que ce bâtiment était initialement à usage de remise agricole et qu’ensuite, il y a plusieurs années, il a été transformé en bâtiment à usage d’habitation sans qu’une autorisation d’urbanisme ne soit intervenue, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que ces travaux relèvent donc du régime de la déclaration dès lors qu’il n’est pas contesté qu’ils remplissent les conditions prévues à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme » ;
(CE, 12 janvier 2007, n°274362).
« Considérant qu’aux termes de l’article L. 112-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : « Des décrets en Conseil d’Etat (…) définissent notamment la surface de plancher développée hors oeuvre d’une construction et les conditions dans lesquelles sont exclus de cette surface les combles et sous-sols non aménageables pour l’habitation ou pour d’autres activités (…) ainsi que les surfaces des bâtiments d’exploitation agricole (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 112-2 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : « La surface de plancher hors oeuvre brute d’une construction est égale à la somme des surfaces de plancher de chaque niveau de construction. / La surface de plancher hors oeuvre nette d’une construction est égale à la surface hors oeuvre brute de cette construction après déduction : / (…) d) Des surfaces de planchers hors oeuvre des bâtiments affectés au logement des récoltes, des animaux ou du matériel agricole ainsi que des surfaces des serres de production (…) » ; que, pour l’application de ces dispositions au cas d’une demande de certificat d’urbanisme portant sur l’aménagement de bâtiments existants, il y a lieu, pour déterminer leur surface hors oeuvre nette avant travaux et hors le cas de fraude, de prendre en considération leur mode d’utilisation effectif à la date de la demande, sans qu’il soit besoin de rechercher si ce mode d’utilisation avait été autorisé par la délivrance d’un permis de construire ; »
(CE, 7 juillet 2008, Prouté, n° 293632).
– toutefois, postérieurement, dans un arrêt du 27 juillet 2009 (CE, 27 juillet 2009, SCI la Paix, n°305920), le Conseil d’Etat, paraît revenir à a jurisprudence Thalamy en jugeant :
« qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le sous-sol de l’immeuble litigieux, impropre à l’habitation, a été transformé, sans permis de construire, en quatre appartements équipés de cuisines et de salles de bain ; que la SCI LA PAIX a déposé une simple déclaration de travaux ayant pour objet, après décaissement du bâtiment, d’agrandir les ouvertures dont bénéficiaient les logements réalisés dans ces conditions ; qu’il incombait, toutefois, à la SCI LA PAIX de présenter une demande de permis de construire autorisant l’ensemble des travaux qui ont eu ou qui devaient avoir pour effet de modifier la destination du sous-sol de son immeuble ; qu’ainsi, en jugeant que le maire était tenu de s’opposer aux travaux, au motif que le changement initial d’affectation des locaux n’avait pas été autorisé, le tribunal administratif n’a pas entaché son jugement d’une erreur de droit ; »
(CE, 27 juillet 2009, SCI la Paix, n°305920).
Il persistait, donc, une incertitude jurisprudentielle source d’insécurité juridique fondée sur le caractère ancien du changement de destination.
En fonction de l’ancienneté, la régularisation ne serait pas nécessaire, en application de la jurisprudence Fernandez.
Finalement, ce débat jurisprudentiel et doctrinal est aujourd’hui clarifié.
Les changements d’usage ultérieurement intervenus dans les faits ne sont pas pris en compte et doivent, le cas échéant, être régularisés dans le cadre de la jurisprudence Thalamy :
« Considérant que, lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ou de changer sa destination ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation »
(CE, 16 mars 2015, n° 369553).
Ainsi, après quelques balbutiements jurisprudentiels, le Conseil d’Etat a stabilisé sa position.
La régularisation du changement de destination est un préalable obligatoire au dépôt de l’autorisation d’urbanisme nécessaire aux travaux projetés.
La sanction fiscale liée au changement de destination non autorisé
En pratique, un tel changement de destination peut engendrer un rattrapage de taxe d’habitation.
Ce sera notamment le cas si la partie à usage d’habitation n’est pas déclarée comme telle.
D’autant plus que la déclaration peut révéler le manque de cohérence de l’usage de l’immeuble avec la destination de celui-ci, tout comme le fait de déclarer un domicile dans cet immeuble auprès des services de la commune de rattachement.
La sanction pénale liée au changement de destination non autorisé
Si des travaux en vue de réaliser un changement de destination vers l’habitation sont fait sans autorisation et sans possibilité de régularisation, les dispositions de l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme s’appliquent.
Pour rappel, l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme dispose :
« Le fait d’exécuter des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable est puni d’une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d’une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l’article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros. En cas de récidive, outre la peine d’amende ainsi définie un emprisonnement de six mois pourra être prononcé.
Les peines prévues à l’alinéa précédent peuvent être prononcées contre les utilisateurs du sol, les bénéficiaires des travaux, les architectes, les entrepreneurs ou autres personnes responsables de l’exécution desdits travaux.
Ces peines sont également applicables :
1. En cas d’inexécution, dans les délais prescrits, de tous travaux d’aménagement ou de démolition imposés par les autorisations visées au premier alinéa ;
2. En cas d’inobservation, par les bénéficiaires d’autorisations accordées pour une durée limitée ou à titre précaire, des délais impartis pour le rétablissement des lieux dans leur état antérieur ou la réaffectation du sol à son ancien usage ;
3. En cas d’inexécution, dans les délais prescrits par la mise en demeure prévue à l’article L. 121-22-5, des travaux de démolition et de remise en état rendus nécessaires par le recul du trait de côte.
En cas de méconnaissance des obligations imposées par l’article L. 451-3, le tribunal ordonne en outre, en cas de perte ou de destruction de la plaque commémorative au cours des travaux, à la charge du maître d’ouvrage, la gravure et l’installation d’une nouvelle plaque apposée dans les conditions du deuxième alinéa dudit article.
Toute association ou fondation reconnue d’utilité publique telle que définie à l’article 2-4 du code de procédure pénale peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction à l’article L. 451-3 et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux infractions relatives à l’affichage des permis ou des déclarations préalables ».
(L. 480-4 du Code de l’urbanisme).
Autrement dit, le risque pénal identifié est donc :
- – une amende qui peut aller de 1 200 euros à 6 000 euros par m2 de surface de plancher en infraction ou 300 000 euros selon les cas ;
- – plus rarement, certes, mais peut aussi conduire à une condamnation à un emprisonnement allant jusqu’à 6 mois.
Attention, le constructeur ou promoteur peut, également, être poursuivi si ses travaux ou son opération ont pour objet de prévoir un changement de destination non déclaré ou autorisé, selon les cas.
En pareil situation, la difficulté pour l’administration est de démontrer l’existence de travaux ayant eu pour effet le changement de destination opéré sans autorisation ou déclaration (Cass. crim., 18 mai 2004, n° 03-84840).
En effet, il convient de pouvoir affirmer, et ce n’est pas toujours évident, quels travaux permettent de basculer dans le changement de destination.
La jurisprudence a pu identifier un changement illégal de destination vers l’habitation, en raison de travaux portant sur la création d’une salle de bain (Cass crim, 29 juin 2010, n° 09-82.834).
Quid du changement de destination d’un bâtiment sans la réalisation de travaux ?
Par exemple, le fait d’habiter un bâtiment à destination agricole, sans pour autant réaliser de travaux liés à cet usage, constitue-t-il un changement de destination ?
La doctrine est divisée sur cette question.
Certains auteurs ont pu considérer que les dispositions pénales de l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme ne pouvaient s’appliquer, eu égard à la rédaction de cet article visant la réalisation de travaux (voir en ce sens : La réforme du permis de construire, ou la marmite du Diable, JCP La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n°27, 6 juillet 2007, Michel Ricard, P 495).
Toutefois, cette appréciation ne résout, pas à notre sens, la question de savoir si une affectation non conforme à la destination pouvait être qualifiée « d’occupation des sols » non autorisée par le PLU, au sens de l’article L.610-1 du Code de l’urbanisme, article qui renvoie au même article L. 480-4 du Code de l’urbanisme.
Et d’autres auteurs considèrent, malgré tout, que l’article L.610-1 du Code de l’urbanisme qui renvoie aux sanctions visées à l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme, concerne également les occupations de sols non conformes à la destination, sans réalisation de travaux. Il s’agit également de la position gouvernementale (Rep. min. n° 37643: JOAN 19 mai 2009).
Force est d’admettre qu’a priori de seuls aménagements d’intérieur ne suffiraient pas à créer un changement de destination, mais qu’il existe un aléa sur la qualification d’occupation des sols et celle des aménagements réalisés en vue de permettre un usage d’habitation.
De sorte que le risque de condamnation pour l’un des intervenants à la construction (de ces travaux visant le changement de destination) ou le propriétaire n’est pas à exclure totalement.