Par une ordonnance du 31 octobre 2022, le Tribunal administratif de Melun a suspendu le règlement intercommunal adopté le 7 juillet 2022 pour lutter contre les locations meublées de tourisme de type AirBNB.
Il s’agissait d’instaurer une autorisation pour le changement d’usage des locaux d’habitation en locations meublées de tourisme.
Voilà, donc, une ordonnance du Tribunal de Melun intéressante car elle s’inscrit dans une série de jurisprudence sanctionnant les premières mises en œuvre des outils mis à disposition des collectivités pour lutter contre la pénurie de logements. Et pour cause, l’explosion des locations saisonnières dans certaines régions (Bretagne, Pays-Basque) est de plus en plus problématique puisque créant une véritable pénurie de logements mis en location pour les résidents.
Les outils de règlementation des locations meublées de tourisme : panorama général des textes
A titre liminaire, le meublé de tourisme est défini à l’article L. 324-1-1 du code du tourisme :
« Pour l’application du présent article, les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ».
Pour faire face à cette nouvelle problématique, les textes législatifs et règlementaires s’empilent depuis quelques années au point que le Ministère chargé du logement a publié un guide bien utile.
Ledit guide publié par le Ministère chargé du logement liste les différents outils existant.
1- La déclaration préalable en mairie des meublés de tourisme. Cette déclaration préalable obligatoire ne concerne pas les résidences principales (article L. 324-1-1 du code du tourisme).
2- La limitation à 120 jours par an la location saisonnière des résidences principales (article L. 324-1-1 du code du tourisme).
3- La règlementation du changement d’usage (articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation).
En l’occurrence obligatoire pour les communes de plus de 200 000 habitants et celle appartenant à la petite couronne parisienne, facultative pour les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants dont la liste est fixée par (décret n° 2013-392 du 10 mai 2013), et sur autorisation préfectorale pour les autres communes, cette procédure a pour objet de protéger les locaux à usage d’habitation pour les réserver à la population permanente.
En effet, il s’agit de prévenir les changements d’usage et, ainsi, prévenir l’aggravation des tensions sur le marché locatif.
Dans le cas où la procédure de changement d’usage est mise en œuvre, la commune peut décider, par délibération, d’instaurer un numéro d’enregistrement (article L. 324-1-1 du code du tourisme).
De même, il peut être décidé d’instaurer une obligation de compensation prenant, notamment la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage (article L. 631–71 du code de la construction et de l’habitation).
4- Sur le territoire des communes ayant instauré un numéro d’enregistrement, il est possible de récupérer les données des plateformes permettant la mise en location de locaux meublés de tourisme (article L. 324-2-1 du code du tourisme).
Cette collecte de données annuelle est très utile pour veiller au respect de la règlementation.
5- La faculté de soumettre à autorisation la location comme meublé de tourisme d’un local commercial (article L. 324-1-1 du code du tourisme).
L’objectif est clairement d’éviter tout contournement de la législation, puisque les locaux commerciaux ne sont soumis à aucune limitation de durée. De même, cette règlementation permet de protéger les commerces nécessaires aux habitants.
6- Se retrouve également la taxe de séjour susceptible d’être appliquée à tous les meublés de tourisme.
7- La possibilité de procéder à une surtaxation des résidences secondaires dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants (article 232 du code général des impôts).
Un dispositif que les parlementaires souhaitent étendre (amendement proposé au Projet de loi de finances nº 273 pour 2023).
Le Tribunal administratif de Melun : le contrôle de la règlementation relative au changement d’usage des locaux
Comme exposé précédemment, le changement d’usage des locaux est réglementé aux articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation.
En l’occurrence, les collectivités territoriales peuvent soumettre les locations de courte durée de locaux meublés à une autorisation préalable de changement d’usage de locaux avec une éventuelle compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
La Communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération s’est donc engouffrée dans cette brèche et a, par délibération du 7 juillet 2022, approuvé à l’unanimité le règlement intercommunal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation et déterminant les compensations prévues par le code de la construction et de l’habitation.
Dans son ordonnance, le Tribunal administratif de Melun rappelle l’étendue du contrôle du juge administratif sur la règlementation des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation :
- – la règlementation doit être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location ;
- – la règlementation doit être proportionnée à l’objectif poursuivi.
Et, en l’espèce, au regard des éléments produits par les parties à l’instance, le juge du référé conclut au doute sérieux quant à la légalité de la réglementation relative au changement d’usage pour l’exercice d’activités de location de locaux meublés au motif que la Communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération ne démontre pas de manière probante, en l’état de l’instruction, la pénurie de logements sur son territoire :
- – la hausse du nombre de locations de meublés de tourisme sur la période 2021/2022 ne concerne, en réalité, que deux communes sur les dix communes de l’agglomération ;
- – il n’est pas pertinent de baser son référentiel sur l’année 2021, qui a été fortement marquée par la pandémie de la COVID 19 et des mesures mises en œuvre pour endiguer cette pandémie ;
- – il n’est nullement démontré que la hausse des annonces de locations de courte durée soit corrélée à une baisse correspondante des locations de longue durée.
Panorama de la jurisprudence administrative en matière de règlementation des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation pour des locations meublées de tourisme
Cette ordonnance du Tribunal administratif de Melun s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel récent et enrichit la jurisprudence de 2022 en la matière.
Ainsi, par exemple :
- – le Tribunal administratif de Nice a pu valider le dispositif mis en œuvre constatant l’objectif d’intérêt général poursuivi :
« La délibération n°25-1 du 25 juin 2015 du bureau métropolitain de la métropole Nice Côte d’Azur relative à l’encadrement de la location des meublés touristiques sur la commune de Nice, en décidant qu’« afin de ne pas aggraver la pénurie de logements sur la commune de Nice () le nombre maximal d’autorisations accordées à un même propriétaire sera de trois », s’est bornée à fixer les conditions de délivrance de l’autorisation temporaire, conformément aux prescriptions des dispositions de l’article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l’habitation. Par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que cette délibération, qui met en œuvre une politique de lutte contre la pénurie de logement, qui constitue un objectif d’intérêt général, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision DC du 20 mars 2014 n° 2014-691, méconnaitrait les dispositions de l’article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l’habitation. Le moyen tiré de l’exception d’illégalité de la délibération n°25-1 du 25 juin 2015 sur laquelle les décisions litigieuses se fondent doit dès lors être écarté » (TA Nice, 2e ch., 20 octobre 2022, n° 1900561).
- – de son côté, le Tribunal administratif de Pau en relevant la rareté, voire l’inexistence des locaux éligibles à la compensation, prévue par la règlementation, dans certaines communes prévue par la règlementation mise en œuvre par la communauté d’agglomération Pays-Basque, a prononcé la suspension de la mesure (TA Pau, 21 octobre 2022, n° 2202015).
En suivant, ledit règlement a été modifié de sorte que le Tribunal administratif de Pau, saisi par la communauté d’agglomération Pays Basque, a mis fin à la suspension de l’exécution de la délibération du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Pays Basque du 5 mars 2022 (TA Pau, 16 septembre 2022, n° 2201595).
Quels enseignements tirer de la jurisprudence administrative ?
Aujourd’hui, nous disposons de suffisamment de recul jurisprudentiel pour tirer quelques enseignements utiles qui doivent guider les collectivités lors de l’élaboration de leur règlementation.
Premièrement, le juge administratif vérifie, d’une part, que la règlementation poursuit une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et, d’autre part, la proportionnalité des mesures prises par rapport à l’objectif poursuivi.
Deuxièmement, le juge administratif, dans son contrôle, fait preuve d’un véritable pragmatisme, appréciant in concreto, la réalité de la pénurie de logement justifiant l’objectif d’intérêt général poursuivi.
Ainsi, dans son ordonnance, le Tribunal administratif de Melun insiste sur le fait que la collectivité doit démontrer la réalité de la pénurie sur l’ensemble de son territoire.
Pour se faire, il lui appartient de produire tout élément matériel et statistique fiable et sérieux permettant de justifier la pénurie de logement, pénurie en lien avec l’augmentation des locations meublées de courte durée.
Troisièmement, le juge administratif fait également preuve de pragmatisme dans l’appréciation des compensations prévues par la réglementation adoptée.
La compensation doit être sérieusement réalisable sur l’ensemble du territoire concerné.
Dans la négative, le défaut de proportionnalité sera sanctionné.
En synthèse, oui, au regard de la tension du marché locatif, il peut être nécessaire d’encadrer les meublés de tourisme mais la réglementation doit répondre à une réelle et actuelle pénurie de logement.
Dans la négative, le risque de sanction de la part du juge administratif est certain d’autant plus qu’en la matière, les propriétaires n’hésiteront pas à saisir la juridiction administrative, au regard de l’intérêt économique d’une telle activité.