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La modification des prix des contrats de la commande publique : retour sur l’avis du Conseil d’Etat

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La modification des prix des contrats de la commande publique : l’avis du Conseil d’État

Grosse agitation dans la sphère de la commande publique avec la publication de l’avis du Conseil d’État du 15 septembre 2022. Cet avis traite de la question de la modification des prix des contrats de la commande publique, évidemment en lien avec la hausse des prix et les difficultés d’approvisionnement pour certaines matières premières.

Dans le prolongement immédiat de cet avis du Conseil d’État, la Direction des affaires juridiques a publié une fiche technique sur cette problématique et tirant les conséquences, la Première ministre, Élisabeth Borne, a pris une nouvelle circulaire sur l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières, abrogeant celle du 30 mars 2022..

Cette question de la modification des prix des contrats de la commande publique est effectivement d’actualité au regard de la conjoncture actuelle (conséquences de la crise de la COVID 19 et de la guerre en Ukraine).

Nous vous en présentons ici une synthèse. 

La possibilité de modifier les clauses financières du contrat de la commande publique

Si le prix contractualisé d’un contrat de la commande public est en principe ferme et ne peut dès lors pas être modifié, il existe des exceptions.

Outre la clause de réexamen potentiellement prévue dans le contrat (article R. 2194-1 ou R. 3135-1 du code de la commande publique), le code de la commande publique prévoit :

  • – les modifications pour circonstances imprévisibles ;

  • – les modifications de faible montant. 

Les modifications des clauses financières pour circonstances imprévisibles

Sur le fondement des articles R. 2194-5 et R. 3135-5 du code de la commande publique, des circonstances imprévues, c’est à dire les circonstances qu’une autorité diligente ne pouvait pas prévoir, peuvent rendre nécessaires une modification du contrat.  

La circonstance imprévisible

L’évènement imprévisible est donc l’évènement qu’une autorité diligente ne pouvait pas prévoir. Bien évidemment, cette circonstance doit être extérieure aux parties au contrat.

Le Conseil d’État précise dans son avis que ces modifications :

« ne sauraient être justifiées par des événements ainsi que leurs conséquences financières qui pouvaient raisonnablement être prévus par les parties au moment de contracter ».

Par conséquent, il ne s’agit pas d’une garantie assurant au cocontractant la couverture des risques liés à l’exécution normale du contrat.

Ainsi, ces modifications pour circonstances imprévisibles ne peuvent être mises en œuvre qu’à partir du moment où les conséquences financières dépassent les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat.

Dans quelle(s) limite(s) le contrat peut-il être modifié ?

Le Conseil d’État, sur ce point, encadre la modification pour cause imprévisible :

  • – la modification doit être directement imputable aux circonstances imprévisibles ;

  • – la modification ne peut excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre aux circonstances imprévisibles ;

  • – en tout état de cause, la modification ne doit pas excéder 50 % du montant du contrat initial. A noter que sur le fondement des articles R. 2194-5 et R. 3135-5 du code de la commande publique, le seuil de 50 % du montant initial est à apprécier modification par modification. Si les mêmes circonstances imprévisibles donnent lieu à plusieurs modifications, attention à ne pas dépasser ce seuil de 50 %, sans recourir à une nouvelle procédure de mise en concurrence.

Par ailleurs, la modification des clauses financières en raison de circonstances imprévisibles doit toujours respecter les principes généraux :

  • – d’égalité devant les charges publiques ;

Le calcul de la compensation contractuelle

Si sur les modalités de calcul de la compensation contractuelle, l’avis du Conseil d’Etat est silencieux, la fiche technique apporte quelques éléments de réflexion.

La DAJ propose de transposer ici les règles de calcul de l’indemnité extracontractuelle d’imprévision.

La détermination de la compensation financière devra faire l’objet de négociations au cours desquelles l’acheteur public se devra d’être tout particulièrement vigilant sur les pièces justificatives comptables produites par son cocontractant à l’appui de la demande de modification.

En effet, l’acheteur public ne doit pas supporter des sommes qui n’entretiennent aucun lien avec les circonstances imprévisibles.

Il sera, ainsi, opportun de réclamer tous les documents comptables attestant de la réalité et de l’étendue des surcoûts.

Les modifications de faibles de montant du contrat de la commande publique

En application des dispositions des articles R. 2194-8R. 2194-9R. 3135-8 et R. 3135-9 du code de la commande publique, le Conseil d’État admet la liberté des parties de négocier toutes modifications contractuelles destinées à compenser totalement ou partiellement toutes pertes subies par le cocontractant.

Ici, il n’y a pas lieu de vérifier si la perte invoquée caractérise une dégradation significative de l’équilibre initial du contrat.

Pour autant, l’acheteur public doit vérifier que la modification opérée, aussi minime soit-elle, n’a pas pour effet de compenser une aggravation des charges du cocontractant qui en réalité n’excèdent pas celles que les parties avaient prévu ou auraient dû raisonnablement prévoir.

Attention, les articles R. 2194-8 et R. 3135-8 du code de la commande publique disposent par ailleurs que le contrat peut être modifié sans procédure de publicité ou de mise en concurrence « lorsque le montant de la modification est inférieur aux seuils européens et à 10 % du montant du contrat initial pour les marchés de services et de fournitures et pour les contrats de concession ou 15 % du montant initial pour les marchés de travaux » 

Même si la modification est d’un faible montant, il n’en demeure pas moins que l’acheteur public doit toujours veiller au respect des principes d’égalité devant les charges publiques, de bon usage des deniers publics et d’interdiction des libéralités 

Modifications de faibles de montant et modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles

Pour le Conseil d’État, les deux modifications peuvent intervenir successivement.

Bien entendu, encore faut-il que les conditions soient remplies pour procéder à une modification rendue nécessaire par des circonstances imprévisibles.

Les modifications non substantielles du contrat de la commande publique

Ces modifications sont visées aux articles R. 2194-7 et R. 3135-7 du code de la commande publique. 

Une telle modification non substantielle ne s’inscrit dans aucune limite de montant.

Attention toutefois, une telle modification ne doit pas avoir pour effet de « permettre aux parties de modifier l’objet du contrat ou de faire évoluer en faveur de l’entrepreneur, d’une manière qui n’était pas prévue dans le contrat initial, son équilibre économique tel qu’il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des prestations, les prix ou les tarifs »

Articulation des modifications du contrat et du droit à l’indemnité d’imprévision 

«Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité » (article L6 du code de la commande publique).

Et le Conseil d’État indique que l’indemnité d’imprévision est un droit détenu par le titulaire du contrat de la commande publique.

A cet égard, le Conseil d’État précise qu’aucune disposition ne s’oppose à ce que ce droit se combine avec une modification du contrat si l’indemnisation déjà accordée n’a pas résorbé la totalité du préjudice du titulaire du contrat.

Le cocontractant de l’acheteur public est, ainsi, titulaire d’un droit susceptible d’être invoqué devant le juge administratif en l’absence d’accord entre les parties.

Comment remédier à une situation résultant de circonstances imprévisibles ?

Deux possibilités pour ce faire.

En premier lieu, il est possible de modifier le contrat.

La modification ne doit pas changer la nature globale du contrat.

Pour autant, la modification peut concerner tant les caractéristiques et conditions d’exécution des prestations que le prix ou les tarifs, leur montant ou les modalités de leur détermination, ou encore la durée initialement convenue. 

En second lieu, sur le fondement de la théorie de l’imprévision, les parties au contrat peuvent s’accorder pour conclure uniquement une convention d’indemnisation.

Cette convention aura pour seul objet de compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire ou le concessionnaire en lui attribuant une indemnité.

L’indemnité conventionnelle, ainsi, accordée permettra de maintenir l’équilibre du contrat. L’indemnité doit nécessairement être temporaire et la convention en fixera la durée.

Cette indemnité pour imprévision est extracontractuelle, elle ne doit pas figurer dans le décompte général et définitif.

La mise en œuvre de la théorie de l’imprévision : l’appréciation du bouleversement de l’économie du contrat

Enfin le Conseil d’État, dans son avis, donne quelques éléments pour apprécier le bouleversement de l’économie du contrat, notamment, pour le contrat de concession.

Premièrement, le contrat de concession se caractérise par le transfert d’un risque substantiel. Dès lors, pour la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision, la part de risque que le concessionnaire accepte de courir sera à prendre en considération.

Par ailleurs, l’analyse de l’ensemble des pièces du contrat ainsi que l’intention des parties permettra de déterminer le seuil « en deçà duquel son équilibre peut être considéré comme bouleversé ».

Deuxièmement, c’est le bouleversement de l’économie du contrat qui ouvre droit à une indemnité au titre de l’imprévision. Ce bouleversement doit être caractérisé, que le contrat soit conclu à prix global et forfaitaire, à prix unitaire ou par référence à un prix public.

L’indemnité d’imprévision sera à écarter dans le cas où la commune intention des parties révèlerait clairement leur volonté de renoncer à toute compensation. 

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