Le régime des marchés à procédure adaptée (MAPA) privés a fait l’objet d’une récente saga judiciaire, arrivée jusqu’au Conseil constitutionnel ? Ce dernier a dû se prononcer, saisi d’une question préjudicielle de constitutionnalité, sur le respect ou non du droit au recours effectif.
Sans grande surprise, il confirme que le régime contentieux actuel du MAPA privé ne porte pas atteinte au droit au recours effectif.Ce régime, comme celui des contrats publics, n’en demeure pas moins perfectible.
Marché public à procédure adaptée et délai de standstill
Le délai de standstill
Le délai de standstill est mentionné à l’article R. 2182-1 du code de la commande publique.
Il s’agit d’un délai suspensif entre la notification de la décision d’attribution du marché et sa signature.
L’objectif d’un tel délai de standstill est de permettre aux soumissionnaires d’introduire, le cas échéant, un référé précontractuel. Ce délai de standstill ne vaut que pour les marchés passés selon une procédure formalisée.
L’absence de délai de standstill pour les Marchés publics à procédure adaptée
En dépit de la crainte avérée pour le droit à un recours effectif et, ainsi, la possibilité de s’opposer utilement à la conclusion du marché public, le Conseil d’Etat refuse d’imposer une obligation de standstill en MAPA (CE, 19 janvier 2011, n°343435).
Et, le code de la commande publique ne consacre toujours pas une telle obligation.
Dès lors, dans le cas où, le marché est signé, le référé précontractuel est irrecevable. Le juge ne peut pas, en effet, se prononcer sur un contrat déjà signé, le précontractuel n’a plus d’objet.
Il reste encore la possibilité d’introduire un référé contractuel dont l’utilité est moindre au regard de l’office du juge et des possibilités d’ordonner et, donc, d’obtenir, la nullité du contrat conclu.
Le régime des Marchés privés à procédure adaptée
Pour les MAPA privés, la situation n’est pas tout à fait identique mais relativement proche.
Bien évidemment, il existe des voies de recours permettant aux candidats évincés de pouvoir obtenir la nullité du contrat, régies par l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.
Et, dans tous les cas, une fois le contrat signé, le référé précontractuel perd son objet.
Le candidat ne peut plus qu’introduire un référé contractuel.
Sur ce point, la Cour de cassation a saisi le conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, à savoir, notamment :
- – est-ce que les dispositions de l’ordonnance n° 2009-515 limitent de manière excessive les manquements qui peuvent être invoqués après la signature d’un contrat de droit privé de la commande publique, par les concurrents évincés afin d’en obtenir la nullité, d’autant plus qu’aucun autre recours n’existerait ?
- – dans la mesure où les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique disposent, après la signature du contrat, d’une voie de recours supplémentaire reconnue par la jurisprudence administrative inexistante devant le juge judiciaire, une rupture d’égalité est-elle caractérisée ? (Ccass.comm. 8 juillet 2020, QPC n°19-24.270).
La position du Conseil constitutionnel : circulez, il n’y a rien à voir !
Premièrement, le Conseil constitutionnel valide le régime du référé contractuel, considérant que :
« en limitant les cas d’annulation des contrats de droit privé de la commande publique aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence, le législateur a entendu éviter une remise en cause trop fréquente de ces contrats après leur signature et assurer la sécurité juridique des relations contractuelles. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général ».
L’intérêt général justifie, ainsi, la limitation de l’office du juge judiciaire du référé contractuel.
Deuxièmement, le Conseil constitution confirme la légalité de l’absence de délai de standstill pour les marchés à procédure adaptée privée et, plus encore, l’absence d’un tel délai de standstill ne viole pas le droit à un recours effectif.
« À cet égard, la circonstance que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne soit pas toujours obligé de communiquer la décision d’attribution du contrat aux candidats non retenus et d’observer, après cette communication, un délai avant de signer le contrat n’a ni pour objet ni nécessairement pour effet de priver les candidats évincés de la possibilité de former, dès le rejet de leur offre et jusqu’à la signature du contrat, un référé précontractuel ».
Ainsi, l’absence de violation du droit au recours juridictionnel effectif résulte de la possibilité d’introduire un référé précontractuel et de la possibilité d’introduire une action en responsabilité.
Une telle analyse n’en demeure pas moins naïve puisqu’en pratique, d’une part, les acheteurs, pour ce type de contrats ne sont tenus à aucune obligation et peuvent signer immédiatement le contrat. D’autre part, une action en responsabilité diffère totalement d’une action en nullité du contrat.
Troisièmement, pour le Conseil constitutionnel l’absence d’équivalent au recours Tarn et Garonne devant le juge judiciaire ne crée pas une rupture d’égalité devant la loi, puisque les contrats de droit public et de droit privé ne poursuivent pas les mêmes objectifs :
« Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État que les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique peuvent, après la signature du contrat, former en sus du référé contractuel un recours en contestation de la validité de ce contrat ouvert devant le juge administratif à tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses. Les candidats évincés d’un contrat privé de la commande publique ne bénéficient pas devant le juge judiciaire d’un recours identique. Toutefois, les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et des régimes différents. Ainsi, les candidats évincés d’un contrat privé de la commande publique sont dans une situation différente des candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique. Dès lors, la différence de traitement dénoncée, qui est en rapport avec l’objet de la loi, ne méconnaît pas en tout état de cause le principe d’égalité devant la loi ».
Logiquement, la Cour de cassation s’approprie l’analyse du Conseil constitutionnel
Dans un arrêt du 11 mai 2022, la Cour de cassation rappelle qu’un MAPA est un marché qui n’est pas soumis à « l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus » (Com., 11 mai 2022, n°19-24270).
Par ailleurs :
« Aux termes de l’article 16 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 « Est nul tout contrat conclu lorsque aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. Est également nul tout contrat conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique.Le juge prononce de même la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article 4 ou à l’article 8 ci-dessus si, en outre,deux conditions sont réunies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur du droit d’exercer le recours prévu par les articles 2 et 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances del’auteur du recours d’obtenir le contrat. »
10. Ces dispositions, qui énumèrent les cas dans lesquels la nullité du contrat de commande publique doit être prononcée par le juge des référés saisi d’un recours contractuel, réservent cette sanction aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence.
11. En procédant de la sorte, le législateur a entendu éviter une remise en cause trop fréquente de ces contrats après leur conclusion et assurer la sécurité juridique des relations contractuelles, ainsi que la confiance dans les relations économiques. Il a ainsi poursuivi un but légitime.
12. Par ailleurs, cette restriction s’inscrit dans un mécanisme par lequel les candidats à un appel d’offres ont, en amont de la conclusion du contrat, la possibilité de saisir le juge des référés précontractuel de tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, afin que soit ordonné le respect de ces obligations ou, le cas échéant, que soit prononcée l’annulation de la procédure. Cette possibilité est aussi ouverte aux candidats évincés après l’annonce de l’attributaire des offres et jusqu’à la conclusion du contrat.
13. Si pour certains marchés, comme les marchés à procédure adaptée, le pouvoir adjudicateur ou l’autorité adjudicatrice peuvent être dispensés de communiquer la décision d’attribution du contrat aux candidats non retenus et d’observer un délai avant de conclure le contrat, les candidats évincés ne sont pas pour autant privés de faire valoir leurs droits, dès lors que les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu’un candidat irrégulièrement évincé exerce une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement et obtienne ainsi réparation du préjudice qui en est résulté pour lui. Il s’en déduit que la limitation des cas dans lesquels les candidats à un marché privé de la commande publique évincés peuvent agir en référé contractuel ne porte pas atteinte à la substance de leur droit à un recours effectif et qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi.
14. Dès lors, c’est à bon droit qu’ayant retenu que l’article 16 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 prévoit que le juge du référé contractuel n’a le pouvoir de prononcer la nullité d’un contrat privé relevant de la commande publique que dans les cas qu’il énumère précisément, ce dont il a déduit que la demanderesse soutenait, à tort, que cette liste n’était pas limitative, le juge des référés, sans être tenu de procéder à la recherche invoquée à la troisième branche et sans qu’importe le motif erroné mais devenu inopérant, critiqué par la cinquième branche, a, par ces seuls motifs et abstraction faite de celui, surabondant, critiqué par la quatrième branche, légalement justifié sa décision ».
(Com., 11 mai 2022, n°19-24270).
Autrement dit, même si le MAPA privé n’est soumis à aucune obligation de notification et de respect d’un quelconque délai de standstill, la Cour de cassation confirme qu’un référé précontractuel peut toujours être introduit jusqu’à la signature du contrat.
De même, la Cour confirme non seulement la limitation des cas d’ouverture du référé contractuel mais également les possibilités limitées d’obtenir la nullité des contrats par cette voie juridictionnelle, décrites à l’article 16 de l’ordonnance 2009-515, à savoir :
- – lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise ;
- – lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite ;
- – lorsque le contrat a été conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ;
- – lorsque le contrat a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue quand le juge a été saisi d’un référé précontractuel.
Il ne reste, donc, plus qu’au candidat évincé privé de l’effet utile du référé précontractuel de tenter une action en responsabilité pour obtenir l’indemnisation de son préjudice.
C’est l’existence de ce recours qui permet de considérer que les restrictions affectant le référé précontractuel sont mesurées.
Une jurisprudence évidemment critiquable
Cette solution jurisprudentielle prive, en réalité, le recours en référé précontractuel de son intérêt.
Sur ce point, cette jurisprudence est évidemment critiquable. Mais, en réalité, cette solution est approche, dans l’esprit :
- – de l’absence d’obligation de standstill en MAPA public (CE, 19 janvier 2011, n°343435) ;
- – de l’arrêt du Conseil d’État (CE, 15 février 2013, Société Novergie, n° 364325), dans lequel le Conseil d’État juge que l’absence de caractère suspensif du pourvoi en cassation introduit devant lui contre l’ordonnance rendue en référé précontractuel n’est pas contraire au droit à un recours juridictionnel effectif, puisque si l’acheteur public est libre de signer le contrat, le candidat évincé est toujours en mesure d’introduire un recours en contestation de validité du contrat.
En définitive, la solution idéale serait, peut-être, non seulement d’unifier les régimes des recours contre les contrats publics et privés mais aussi de généraliser l’obligation de respecter un délai de standstill ou tout du moins d’un délai raisonnable.