Le 20 septembre 2001, le lycée Gallieni, à Toulouse, était soufflé à cause de l’accident industriel de l’usine AZF, laquelle jouxtait l’établissement.
Cet accident eut un retentissement dramatique.
Pour notre cliente, la reconstruction de l’établissement est devenue, en toute logique, une cause prioritaire, aussi bien parce que l’établissement n’existait plus, que parce que l’enjeu moral était incommensurable.
Les enjeux de la construction étaient connus de tous et systématiquement martelés au cours du chantier.
Pour autant, en cours de chantier, des retards considérables se sont accumulés. Ces retards étaient liés, notamment, à la réalisation du lot n°2 « clos et couvert ». Ces retards affectaient le bon déroulement du chantier, puisque, de l’achèvement des travaux de ce lot, dépendait l’intervention des autres entreprises.
Une expertise judiciaire a été diligentée pour déterminer les causes et responsabilités des retards intermédiaires. L’expert judiciaire a dégagé une clef de répartition des responsabilités pour ces retards intermédiaires.
La Région a alors transposé, sur proposition du mandataire du groupement titulaire du lot n°2, cette clef répartition des responsabilités aux retards en fin de chantier.
C’est dans ce contexte qu’un des cotraitants du lot n°2 s’est vu appliquer, lors de l’établissement du décompte général et définitif, une part de responsabilité dans les retards définitifs à hauteur de 78,30% soit 4 693 038,75 euros de pénalités de retard.
Ces pénalités de retard entraînaient pour cette entreprise, un solde négatif de 4 300 568,21 euros en faveur de la Région.
La société a, alors, transmis à la Région un mémoire de réclamation. Cette réclamation a été rejetée. L’entreprise a alors poursuivi son action en saisissant le tribunal administratif de Toulouse.
L’enjeu du dossier : démontrer, d’une part, le bienfondé des pénalités et, d’autre part, l’absence de caractère manifestement excessif des pénalités de retard
Ces questions ont fait l’objet d’un long et âpre combat judiciaire du tribunal administratif de Toulouse au Conseil d’Etat, en passant deux fois par la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Première étape : le tribunal administratif juge que les pénalités de retard sont infondées
Dans son jugement du 24 février 2016, le Tribunal administratif de Toulouse a jugé que les pénalités infligées par la Région étaient infondées, malgré la réalité, d’une part, du retard du chantier et, d’autre part, du préjudice de la Région.
Partant, alors que le solde du marché était positif pour la Région, cette dernière se retrouvait condamnée à verser à la société requérante la somme de 1 212 015,64 euros.
Deuxième étape : la cour administrative d’appel juge que les pénalités de retard sont fondées et ne sont pas manifestement excessives
Eu égard aux conséquences financières du jugement du tribunal administratif de Toulouse, nous avons conseillé à notre cliente d’interjeter appel. Car ce jugement laissait la Région doublement pénalisée.
En concertation avec le client, nous avons opté pour une nouvelle stratégie pragmatique et pédagogique.
A savoir, nous avons repris l’intégralité de l’historique du chantier dans l’optique :
– de démontrer la réalité du retard définitif ;
– de démontrer le lien entre le retard définitif et les retards intermédiaires.
Une fois cette reconstitution réalisée, nous avons pu dérouler notre raisonnement en trois temps.
Premièrement, le retard définitif est la conséquence du retard intermédiaire imputable au groupement titulaire du lot n° 2.
Il en est déduit, donc, :
– les pénalités de retard infligées sont fondées ;
– la clef de répartition proposée par l’Expert judiciaire s’agissant du retard intermédiaire s’applique parfaitement au retard définitif.
Deuxièmement, dans la mesure où le mandataire du groupement a proposé la répartition des pénalités selon la clef de répartition dégagée par l’Expert judiciaire, ce point échappe à la compétence du maître d’ouvrage et, donc, ne relève pas de l’office du juge administratif du contrat (par exemple : CAA Paris, 8 mars 2010, RATP, n°08PA03503 ou encore CE,
2 décembre 2019, n° 422615)
Troisièmement, il ne restait plus qu’à démontrer le caractère non excessif des pénalités infligées.
Tout d’abord, aucun principe ni jurisprudence n’impose au juge du contrat de mettre en œuvre ce pouvoir de modération, c’est-à-dire, de modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou, à l’inverse, dérisoire (CAA de Nantes, Société Plastic Omnium Système Urbains, 23 septembre 2011, n°10NT02043).
Ensuite, il appartient au titulaire du contrat qui développe des conclusions tendant à ce que le juge du contrat modère les pénalités mises à sa charge « de fournir au juge tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif » (CAA Douai, 12 janvier 2021, n° 19DA00453).
Le seul montant des pénalités ne suffit pas pour caractériser leur caractère excessif (CAA Bordeaux, 18 décembre 2020, n° 18BX03438).
Sachant que l’absence de préjudice du maître d’ouvrage n’est pas un moyen susceptible de prospérer pour obtenir la modération des pénalités de retard (CAA Lyon, 14 janvier 2021, n° 18LY02917).
En tout état de cause, le contentieux présente la particularité de porter sur le caractère excessif des pénalités infligées à un membre du groupement.
Autrement dit, il faut savoir si le caractère excessif des pénalités s’apprécie à l’aune du montant du lot ou du montant des prestations de l’entreprise.
Avec l’appui de la jurisprudence, nous soutenions que l’analyse du caractère excessif des pénalités n’avait de sens qu’au niveau du lot global.
Et, en l’espèce, les pénalités de retard représentaient 13% du montant global du marché, de sorte que leur caractère excessif devait être écarté.
Dans son arrêt du 26 juin 2018, la cour administrative de Bordeaux a fait droit à nos différentes demandes.
Le jugement attaqué a été annulé et le montant des pénalités a été confirmé.
Troisième étape : le Conseil d’État ou la sanction partielle de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux
Dans un arrêt marqué par la clarté et l’intelligibilité, le Conseil d’État a fait œuvre de pédagogie rappelant les règles applicables dans le contentieux des pénalités de retard.
Ainsi, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux est infirmé en ce que les conclusions tendant à la modération des pénalités de retard ont été rejetées alors même que la cour n’a pas répondu aux arguments de la société.
L’annulation est, par conséquent, partielle, et sont confirmés :
– le bienfondé des pénalités de retard ;
– le bienfondé de la répartition retenue.
Dès lors, la cour administrative d’appel de renvoi a eu à juger du seul caractère ou non excessif des pénalités de retard.
Quatrième étape : l’épilogue ou la confirmation de l’absence de caractère excessif des pénalités de retard contestées
Confortés par l’arrêt du Conseil d’État, il ne nous restait plus qu’à démontrer que la société n’apportait aucun élément, notamment, au regard des pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché, de nature à établir le caractère manifestement excessif des pénalités de retard.
Justement, la société n’a jamais apporté de tels éléments de preuve.
Or, la sanction est automatique, la demande de modération est, dans ce cas, nécessairement rejetée (CAA Douai, 30 juin 2020, n° 18DA02536).
La cour a suivi notre raisonnement, en jugeant que :
– le caractère manifestement excessif des pénalités de retard doit s’apprécier au regard, non pas du montant de chaque chantier concerné, mais du montant global et définitif du marché ;
– l’absence de circonstance particulière relative à l’exécution du lot ne permet pas de soutenir utilement que la proportion des pénalités attribuées serait excessive.
Par conséquent, la cour administrative confirme le bienfondé du solde du marché tel que fixé par notre cliente.
Ce que nous avons obtenu pour notre cliente
La Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 25 mars 2021, n° 19BX04517, voir l’arrêt) confirme, ainsi, la parfaite régularité des pénalités de retard, dans la mesure où leur montant n’est pas jugé manifestement excessif.
Cette confirmation permet d’obtenir la réparation du préjudice subi par notre cliente en raison de l’incapacité des entreprises à respecter les délais d’exécution contractuellement prévus.
Au-delà de cette victoire pour notre cliente, ce combat judiciaire a été l’occasion de rappeler les règles applicables en matière de pénalités de retard.
La vigilance est de mise :
– le maître d’ouvrage doit veiller à ne pas injustement infliger des pénalités tant dans leur principe que dans leur montant. A cet égard, nous ne pouvons que conseiller de recourir, préalablement, à une expertise judiciaire qui permettra d’obtenir les informations techniques indispensables pour identifier, notamment, l’origine des retards et les responsabilités dans ces retards.
L’expertise judiciaire est une première étape pour sécuriser le processus des pénalités de retard.
– l’entreprise titulaire d’un marché, lorsqu’elle entend contester le décompte, doit, quant à elle, être capable de démontrer en quoi les pénalités sont manifestement excessives. Cette preuve résultera d’une analyse des conditions d’exécution du marché, du quantum des pénalités par rapport au montant du marché mais également des conséquences de ces pénalités sur sa viabilité économique.
A toutes les étapes, il est, évident, opportun de se faire accompagner par un avocat expert en la matière.