Nous allons traiter ici du régime juridique du chemin rural. Il s’agit des chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, mais qui n’ont pas été classés comme voies communales (article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime).
Le chemin rural : domaine privé communal
Le chemin rural, non classé dans la voirie communale, appartient au domaine privé communal (Article L161-1 du Code rural et de la pêche maritime).
Dès lors, le chemin rural est soumis à un régime de droit privé. Il ne bénéficie pas des principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité, découlant du régime protecteur de la domanialité publique (article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques).
L’affectation à l’usage du public est présumée, notamment, en cas d’utilisation du chemin rural comme voie de passage. L’existence d’actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale permet également d’établir cette présomption (article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime).
Il en résulte, selon le Conseil d’État (CE, 3 décembre 2012, n° 344407), qu’un chemin rural est présumé affecté à l’usage du public, dès lors qu’une seule des conditions fixées à l’article L.161-2 du Code rural et de la pêche maritime est remplie, à savoir :
– utilisé comme voie de passage ;
– surveillé par la commune ;
– entretenu par elle.
Attention, par ailleurs, la qualification de chemin rural est écartée pour un chemin situé dans une zone urbanisée et présentant l’aspect d’une rue (CE, 11 mai 1984, n° 24755).
L’entretien du chemin rural
Le principe : l’absence d’obligation d’entretien pesant sur la commune
L’entretien des chemins ruraux, contrairement à celui des voies communales, n’est pas inscrit au nombre des dépenses obligatoires de la commune fixées à l’article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales.
Pour une commune, Il n’existe, donc, aucune obligation d’entretenir un chemin, rural sauf si celle-ci a déjà accepté d’en assumer l’entretien en réalisant des travaux destinés à assurer ou à améliorer la viabilité dudit chemin (Réponse du Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales publiée dans le JO Sénat du 21/05/2020 – page 2339).
Cette situation crée une étrangeté.
Ainsi, dès lors que la commune a effectué des travaux destinés à assurer ou à améliorer la viabilité du chemin rural et a ainsi accepté d’en assumer l’entretien, sa responsabilité peut être mise en cause par les usagers pour défaut d’entretien normal, le chemin rural ayant basculé dans le champ de l’ouvrage public (CE, 26 septembre 2012, n° 347068).
Les questions pratiques que doit se poser la commune pour anticiper tout contentieux
Deux questions à se poser :
– un entretien antérieur a-t-il eu lieu ?
– existe-t-il une preuve qui pourrait être apportée de cet entretien ?
Autrement dit, en l’absence de preuve d’un entretien antérieur, un riverain du chemin rural ne peut contraindre la commune à intervenir pour assurer ledit entretien.
L’entretien du chemin rural par les riverains : une offre de concours spécifique aux chemins ruraux
L’article L161-11 du Code rural et de la pêche maritime prévoit la possibilité, pour les riverains, d’entretenir eux même le chemin rural.
En application de cette disposition, les riverains peuvent demander à la commune de les autoriser à faire des travaux, sous réserve du respect des règles de majorité définies par le texte.
Sur la base de cette proposition, il appartient à la commune de délibérer, dans le délai d’un mois, pour accepter ou refuser la proposition.
En pratique, il est conseillé :
– de prévoir que l’acceptation de l’intervention ou de la souscription, le cas échéant, ne vaut pas engagement de sa part d’assumer l’entretien de ce chemin ;
– de matérialiser les conditions d’entretien par la conclusion d’une convention entre la commune et les riverains.
La police de la conservation du chemin rural
Le principe est que le chemin rural est ouvert au public, c’est même une de ses caractéristiques.
Le maire est en charge « de la police et de la conservation des chemins ruraux » (L.161-5 du code rural et de la pêche maritime).
Comme toutes les mesures de police administrative, l’arrêté de police et de conservation d’un chemin rural doit être nécessaire et proportionné (CE, 4 octobre 2010, n° 310801).
Cela veut dire que :
– la mesure de police doit être indispensable pour atteindre l’objectif poursuivi ;
– être limitée dans l’espace et dans le temps.
Ainsi, il est toujours possible de réglementer la circulation. On voit souvent, en pratique :
– l’interdiction de certains types de véhicules,
– l’interdiction d’un tonnage trop important,
– l’interdiction de circulation sur certaines parties non goudronnées, …
Assurer la libre circulation sur le chemin rural
Le maire doit toujours s’assurer de la libre circulation sur le chemin rural et doit ainsi rétablir en urgence, le cas échéant, la libre circulation (R.161-11 du code rural et de la pêche maritime).
Ainsi, par exemple, le maire se trouve en situation de compétence liée pour retirer un permis de construire un portail qui a pour effet de fermer l’accès à un chemin rural (CAA Bordeaux, 11 juin 2015, n° 12BX03117)
Et une association peut, également, contraindre une commune à rétablir la libre circulation sur un chemin rural (CAA Douai, 31 mai 2018, n° 16DA00092).
En complément, une contravention de 5ème classe est susceptible d’être dressée.
L’aliénation du chemin rural
Le transfert de propriété par cession à titre onéreux du chemin rural
La cession des chemins ruraux est prévue à l’article L.161-10 du code rural et de la pêche maritime.
Les étapes de la cession sont :
– désaffectation partielle ou totale du chemin à l’usage du public ;
– mise en œuvre d’une enquête publique conformément aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration ;
– estimation financière de la DIE en fonction du nombre d’habitant. L’estimation n’est pas nécessaire pour les communes de moins de 2000 habitants. En pratique, nous recommandons cette estimation pour éviter toute cession à un prix inférieur à la valeur vénale du terrain qui créerait un risque juridique pour l’opération ;
– délibération du conseil municipal pour approuver la cession et ses conditions au titre de l’article L 2241-1 du code général des collectivités territoriales.
Attention, seule la cession, autrement dit, la vente d’un chemin rural est prévue et autorisée.
Si, pendant longtemps l’échange de parcelles pour réaliser la cession d’un chemin rural était prohibé (CE, 23 mai 1986, n° 48303 ou encore Rép. min. n° 6147: JO Sénat 20 septembre. 2018, p. 4783), ce n’est plus cas désormais avec le nouvel article L. 161-10-1 du code rural et de la pêche maritime.
L’échange est désormais possible mais sous conditions.
Par ailleurs, à noter qu’en cas d’aliénation, les propriétaires riverains disposent d’un droit de préférence (article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime). Et, au regard de ce droit, le Conseil d’Etat a jugé :
« le délai de recours contentieux contre une décision d’aliénation de parcelles supportant un chemin rural après sa désaffectation ou de parcelles supportant des voies du domaine public routier après leur déclassement ne peut courir, pour les propriétaires riverains qui doivent être mis en demeure d’acquérir ces parcelles en application des dispositions citées au point 3, qu’à compter de la date à laquelle la décision d’aliénation leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée ».
(CE, 5 Juillet 2022, n° 459683).
Le transfert de propriété par prescription acquisitive
Le chemin rural est, ainsi, en principe un bien du domaine privé communal et est géré librement par la personne publique conformément à l’article 537 du Code civil (article L. 2221-1 du code général de la propriété des personnes publiques).
Le chemin rural est susceptible de faire l’objet d’une prescription acquisitive (réponse du ministre de l’intérieur, JO Sénat du 26 mars 2015 – page 701), c’est-à-dire obtenir l’acquisition d’un bien par l’effet de la possession sans disposer, pour autant, d’un titre (article 2258 du code civil).
Celui qui revendique la prescription acquisitive d’un chemin rural doit pouvoir démontrer une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire (article 2261 du code civil) et cela depuis 30 ans au moins (article 2272 du Code civil).
Attention, la prescription acquisitive n’est pas automatique. Celui qui revendique le bénéfice de la prescription acquise doit donc faire valoir ses droits :
– soit en saisissant la juridiction pour obtenir un titre de propriété ;
– soit en obtenant auprès d’un notaire un acte dit de « notoriété acquisitive ».
En pratique, l’acte de « notoriété acquisitive » ne ferme pas la possibilité d’une contestation ultérieure, de sorte que nous conseillons l’action judiciaire en usucapion.A noter qu’une commune peut revendiquer la propriété d’un chemin en usant de la prescription acquisitive (Cour de cassation, 1er février 2018, n°16-23.200).