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Qu’en est-il du droit d’exclusivité du titulaire d’un accord cadre

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Qu’en est-il du droit d’exclusivité du titulaire d’un accord cadre ?

Le droit d’exclusivité du titulaire d’un accord cadre consiste à considérer que l’acheteur public est contraint de toujours recourir à son cocontractant pour réaliser toutes les prestations relevant du champ de l’accord cadre conclu.

L’existence d’un droit d’exclusivité en faveur du titulaire d’un accord cadre en application des anciennes dispositions du code des marchés publics

Le droit d’exclusivité et la jurisprudence administrative 

Si le juge administratif n’a jamais confirmé ou infirmé clairement l’existence d’un principe d’exclusivité en faveur du titulaire d’un accord cadre, il a pu disséminer quelques indices quant à la réalité de ce droit.

Par exemple, il a pu être jugé que la violation du principe d’exclusivité, dont bénéficierait le titulaire d’un contrat de la commande publique n’est pas un moyen susceptible d’être utilement invoqué devant le juge du référé contractuel (CE, 29 juin 2012, n° 358353).

Ainsi, ce droit d’exclusivité n’est pas écarté par principe.

Les juridictions du fond évoquent, également, ce principe d’exclusivité, que nous retrouvons principalement exclusivement en matière d’accords-cadre :

– « les dispositions précitées créent une exclusivité au profit de l’attributaire, le pouvoir adjudicateur ne pouvant recourir à un autre prestataire que dans les conditions très étroites qui y sont précisées ; qu’il est constant que, bien que le marché litigieux soit lui aussi conclu sans minimum, ces maximas de dérogation autorisés seront immédiatement dépassés ; » . 

(TA Rennes, 24 janv. 2012, n° 1105064)

– « qu’il ne résulte pas de l’instruction que la commune aurait passé, avec une autre société que la société requérante, durant la période de validité du contrat, des commandes correspondant au marché de diagnostics techniques amiante ni même qu’elle aurait suspendu ses commandes en fin de contrat aux seules fins de les reporter sur l’exercice suivant ; qu’enfin, et contrairement à ce que soutient la société Coveis Ingéniérie, le non respect du minimum contractuel ne peut être assimilé à une résiliation anticipée du contrat ; que, dans ces conditions, la société Coveis Ingéniérie n’est pas fondée à solliciter une indemnisation à hauteur d’un bénéfice calculé sur le montant maximum du marché, à raison d’une prétendue méconnaissance de son droit d’exclusivité » .

(CAA Bordeaux, 27 juin 2013, n° 11BX03327)

La Cour administrative d’appel de Marseille a, récemment, tranché en faveur de l’existence d’un tel droit d’exclusivité :

– « Si le titulaire d’un marché dont le droit d’exclusivité a été méconnu peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé, il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice. Dans le cas d’un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti » .

(CAA Marseille, 21 mars 2022, n° 19MA03708)

L’ancien article 77 du code des marchés publics, fondement du droit d’exclusivité du titulaire d’un accord cadre

Aux termes de l’ancien article 77 du code des marchés publics :

« Pour des besoins occasionnels de faible montant, le pouvoir adjudicateur peut s’adresser à un prestataire autre que le ou les titulaires du marché, pour autant que le montant cumulé de tels achats ne dépasse pas 1 % du montant total du marché, ni la somme de 10 000 Euros HT. Le recours à cette possibilité ne dispense pas le pouvoir adjudicateur de respecter son engagement de passer des commandes à hauteur du montant minimum du marché lorsque celui-ci est prévu ».

Et c’est justement sur le fondement de ces dispositions du code des marchés publics, aujourd’hui abrogées et non reprises par l’article L. 2125-1 du code de la commande publique, que la doctrine gouvernementale a pu dégager un tel principe d’exclusivité en faveur du titulaire d’un marché public.

Un droit d’exclusivité consacré par la doctrine gouvernementale

De nombreuses réponses ministérielles plaident en faveur d’un tel droit :

– « Les marchés publics sont des contrats qui, en application de l’article 5 du code des marchés publics, doivent déterminer avec précision la nature et l’étendue des besoins à satisfaire. Ainsi, pour un marché de fournitures, les documents du marché doivent préciser les différentes fournitures que le prestataire s’engage à livrer. Dans l’exemple proposé, si les fournitures « spécifiques » relèvent de celles visées par un marché déjà attribué, l’acheteur devra respecter le droit d’exclusivité du titulaire. La seule exception à ce droit d’exclusivité réside dans la possibilité prévue au I de l’article 72 dans le cadre des marchés à bons de commande, de satisfaire des besoins occasionnels de faible montant auprès d’un prestataire autre que le titulaire du marché. En revanche, si le besoin en fournitures « spécifiques » n’est couvert par aucun marché et que la valeur totale est inférieure à 4 000 euros hors taxes, l’acheteur pourra alors attribuer directement le marché sans publicité ni mise en concurrence » ;

(Réponse ministérielle n° 75327, JOAN du 16 mai 2006, p. 5178)

– « En principe, la conclusion d’un marché public a vocation à conférer à son titulaire l’exclusivité de la relation entre lui et l’acheteur. Toutefois, cette règle n’est posée ni par les directives européennes, ni par l’ordonnance n°  2015-899 du 23 juillet 2015 et le décret n°  2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics. C’est ainsi que le fait de recourir à un autre prestataire que celui qui, pour une prestation déterminée, a été désigné au titre d’un marché public, n’est pas nécessairement sanctionné (CE, 29 juin 2012, Société Chaumeil, n°  358353). Il est donc possible de conclure un marché de représentation en justice et de confier la représentation à un autre professionnel que le titulaire du marché, si la prestation n’est pas incluse dans l’objet du marché. Cette solution est également envisageable dès lors que l’affaire à confier relève d’une spécialité qui n’est pas celle du titulaire du marché »

(réponse du Ministère de l’intérieur à la question écrite n° 22480, JO Sénat du 7  juillet 2016, page 3097).

En synthèse, donc, l’ancienne rédaction du code des marchés publics permettait de dégager et de consacrer un certain droit d’exclusivité en faveur des titulaires d’un accord cadre.

En effet, l’article 77 du code des marchés publics, en réservant la possibilité, sous certaines et strictes conditions de recourir à un autre prestataire, reconnaissait au(x) titulaire(s) de l’accord cadre un droit d’exclusivité pour l’exécution des prestations prévues au contrat.

Et, aujourd’hui, ce droit d’exclusivité en faveur du titulaire d’un accord cadre existe-t-il encore ?

Les dispositions de l’article L. 2125-1 du code de la commande publique

Comme indiqué précédemment, la rédaction de l’article L. 2125-1 du code de la commande publique tranche avec celle de l’article 77 du code des marchés publics.

En effet, l’article L. 2125-1 du code de la commande publique définit, aujourd’hui, l’accord cadre comme un contrat :

« qui permet de présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de conclure un contrat établissant tout ou partie des règles relatives aux commandes à passer au cours d’une période donnée. La durée des accords-cadres ne peut dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans pour les entités adjudicatrices, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur l’objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure ».

Et, l’actuel code de la commande publique ne prévoit plus la possibilité de procéder à des achats à d’autres opérateurs économiques que le titulaire de l’accord-cadre.

Par conséquent, un des fondements théoriques du droit d’exclusivité reconnu au titulaire d’un accord cadre a disparu.

Dès lors, la persistance d’un tel droit d’exclusivité se pose.

Un droit d’exclusivité non encore réitéré par la jurisprudence

Aujourd’hui, nous n’identifions aucune jurisprudence reprenant la jurisprudence dégagée à l’aune de l’ancienne rédaction du code des marchés publics.

Autrement dit, en l’état du droit positif, il est impossible d’affirmer avec certitude que le juge administratif viendra à nouveau consacrer ce principe d’exclusivité.

A cet égard, l’arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Marseille ne nous éclaire en rien, puisque la Cour se fonde sur l’ancien article 77 du code des marchés publics et non pas les nouvelles dispositions du code de la commande publique.

Pour autant, un droit d’exclusivité confirmé par la doctrine gouvernementale

En dépit des évolutions textuelles, le gouvernement persiste à consacrer un tel droit :

« Un accord-cadre demeure, sous l’empire des textes entrés en vigueur le 1er avril 2016, un système fermé pendant toute sa durée d’exécution. Une fois l’accord-cadre conclu, seuls son ou ses titulaires peuvent se voir attribuer les bons de commande ou marchés subséquents faisant l’objet de ce marché public. Cependant, les acheteurs publics ont désormais une liberté plus grande de prévoir contractuellement des exceptions à ce principe d’exclusivité. Ils peuvent définir, dans l’accord-cadre, les limites de leur engagement contractuel. En dehors de ces limites, l’acheteur est libre de recourir à d’autres opérateurs économiques que le titulaire d’un accord-cadre, pour les mêmes besoins. L’acheteur doit insérer de manière expresse, dans les documents contractuels du marché, une clause stipulant qu’il se réserve la possibilité de recourir à des tiers pour certains types de prestations prévues au contrat et ce, sous certaines conditions déterminées. Dans le silence de l’accord-cadre, l’acheteur est tenu, par principe, de garantir à son ou ses titulaires l’exclusivité des prestations qui en sont l’objet.  Les clauses dérogeant au principe d’exclusivité doivent être suffisamment précises pour éviter tout risque contentieux. Elles peuvent notamment indiquer le périmètre des prestations concernées, le montant estimatif ainsi que les conditions dans lesquelles l’acheteur pourra en faire usage. Cette démarche n’exonère pas les acheteurs publics de l’obligation de respecter l’ensemble des engagements contractuels souscrits au titre de l’accord-cadre antérieur. Ainsi, notamment dans l’hypothèse d’un accord-cadre avec montant minimum, l’insertion d’une clause dérogatoire au principe d’exclusivité ne dispense pas l’acheteur de respecter son engagement à passer à chaque titulaire de l’accord-cadre les commandes à hauteur du montant minimum. Rien n’interdit à chaque titulaire de l’accord-cadre de postuler à l’attribution des marchés publics correspondant aux commandes effectuées hors contrat ».

(Réponse publiée au JO le : 20/02/2018 page : 1435)

Autrement dit, selon la doctrine gouvernementale, le droit d’exclusivité serait toujours actif.

En ce sens, la Direction des affaires juridiques, dans sa fiche sur les accords-cadres, indique clairement que : 

« Dans le silence de l’accord-cadre, il convient de considérer que l’exclusivité est garantie au titulaire, par principe« .

Dans ce contexte, le doute est permis.

Quel(s) conseil(s) pratique(s) ?

Pour l’acheteur public

S’agissant de l’existence ou non de ce droit d’exclusivité en faveur du titulaire d’un accord cadre, l’incertitude est évidente.

Il est impossible de prédire la future jurisprudence du juge administratif.

La prudence est donc de mise pour l’acheteur public.

Dans ces conditions, notre conseil est de veiller à encadrer ce potentiel droit d’exclusivité dès la rédaction des accords-cadres. A cet égard, une solution pourrait consister à reprendre dans les documents contractuels l’ancienne rédaction de l’article 77 du code des marchés publics pour permettre de déroger à l’exclusivité. 

En tout état de cause, les dérogations devront toujours être exceptionnelles et l’acheteur public veillera à respecter le montant minimum prévu par l’accord cadre.

Pour le titulaire de l’accord cadre

Du côté du titulaire qui verrait l’acheteur public passer par d’autres entreprises pour l’exécution de prestations relevant de son accord-cadre, une action indemnitaire pourrait être envisagée.

En effet, il a pu être jugé que le titulaire d’un marché à bons de commande puisse engager la responsabilité de l’administration s’il est en mesure de prouver que les prestations qui font l’objet de ce marché ont été confiées à un autre opérateur (CAA Bordeaux, 30 juillet 2009, n° 08BX00239). 

A cet égard, nous pouvons imaginer que la société pourrait rechercher l’indemnisation de la marge bénéficiaire à laquelle elle aurait pu prétendre, sous réserve de pouvoir l’établir (CAA Bordeaux, 4 mai 2006, n° 02BX01049).

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