Le référé provision de l’article R.541-1 du Code de Justice administrative trouve pleinement sa place dans la procédure d’établissement du décompte général et définitif.
Si l’existence d’un décompte général et définitif ouvre droit au versement d’une provision, l’absence d’un tel décompte ne ferme pas pour autant la voie du référé provision.
La procédure d’établissement du décompte général et définitif
Définition du décompte général et définitif
La jurisprudence est constante sur la définition du décompte général et définitif :
« l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Toutes les conséquences financières de l’exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu’elles ne correspondent pas aux prévisions initiales ».
(CE, 28 mars 2022, n° 450477)
L’établissement du décompte général et définitif fait courir les délais de paiement du solde des marchés publics :
« Pour le paiement du solde des marchés de travaux ou de maîtrise d’œuvre conclus par l’État, ses établissements publics ayant un caractère autre qu’industriel et commercial, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître de l’ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux et aux marchés de maîtrise d’œuvre ».
(article R. 2192-16 du code de la commande publique)
Le décompte général et définitif exprès
En synthèse des dispositions des CCAG travaux et maîtrise d’œuvre (article 12.4 du CCAG travaux et article 11.8 du CCAG MOE), à réception du projet de décompte signé par le maître d’ouvrage, le titulaire du marché dispose d’un délai de 30 jours pour formuler ses réserves et réclamations.
Si le titulaire signe le projet de décompte ou ne réagit pas dans ce délai de 30 jours, alors le projet de décompte final devient le décompte général et déficit.
Naissance du décompte général et définitif tacite
Tant en matière de travaux qu’en marché de maîtrise d’œuvre, les CCAG prévoient le décompte général et définitif tacite (article 12.4.4 du CCAG travaux et article 11.8.5 du CCAG MOE).
En effet, de manière synthétique, si le maître d’ouvrage ne notifie pas le décompte général dans les délais de 30 jours à compter de la réception de la demande de paiement final, alors le titulaire du marché notifie au maître d’ouvrage un projet de décompte final signé.
Le maître d’ouvrage dispose alors d’un délai de 10 jours pour notifier son décompte général.
S’il ne le fait pas, alors le projet de décompte final du titulaire du marché devient le décompte général et définitif.
Référé provision après l’établissement du décompte général et définitif
Exprès ou tacite, le décompte général et définitif emporte les mêmes conséquences : il lie définitivement les parties.
Maître d’ouvrage et titulaire du marché sont financièrement engagés par les sommes inscrites au décompte général et définitif, de sorte que la jurisprudence administrative admet la recevabilité du référé provision pour obtenir le règlement financier du décompte général et définitif.
En effet, le juge administratif reconnaît que le solde du décompte général et définitif constitue une créance non sérieusement contestable.
Cette solution jurisprudentielle vaut pour :
– Un décompte général et définitif exprès
« 6. Il est constant que le décompte général, devenu définitif, du marché cité au point 1 fait apparaître un montant total de 4 011 987,04 euros après révision, dont doit être déduite la somme de 309 270,82 euros correspondant aux pénalités et frais engagés, soit un montant net à percevoir par la société GTM Bâtiment Aquitaine de 3 702 717,11 euros TTC. Il est également constant que ce décompte fixe à 196 110,16 euros le solde net à payer de ce marché, dont 183 235,97 euros à verser à la société appelante.
7. Si la CCLO soutient que ce solde résulte d’une erreur purement matérielle, celle-ci ne ressort pas du décompte précité, qui, comme il a été exposé au point précédent, mentionne le montant des versements effectués à la société ainsi que des pénalités et frais engagés devant être déduit des sommes dues à la société. Est sans influence à cet égard la circonstance, du reste dûment contestée par la société, que celle-ci aurait effectivement perçu de la CCLO la somme totale de 3 904 987,08 euros.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il besoin d’examiner la régularité de l’ordonnance litigieuse, la société GTM Bâtiment Aquitaine est fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la CCLO à lui verser la somme de 183 235,97 euros à titre provisionnel ».
(CAA Bordeaux, 20 décembre 2019, n° 19BX03096)
– un décompte général et définitif tacite
« Contrairement à ce que soutient la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, il ne résulte pas de l’instruction qu’en signant le 18 juillet 2017 un avenant ayant pour objet de prolonger l’exécution du marché jusqu’au 30 janvier 2017 sans contrepartie financière pour son titulaire, les parties auraient entendu renoncer à l’application des stipulations du CCAG relatives à l’établissement tacite d’un décompte général et définitif, citées au point 4. Or, il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a été dit au point 5, que la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon n’a pas notifié à la société Self Saint-Pierre et Miquelon de décompte général dans les dix jours suivant la réception du projet de décompte final de cette société. Ainsi, un décompte général et définitif existait à compter du 14 août 2017, en application des stipulations de l’article 13.4.4 du CCAG, alors même que, le maître d’oeuvre a adressé à la société des observations le 3 juillet 2017 et que le projet de décompte général de la société ne comprenait pas le dernier projet de décompte mensuel.
8. Dans ces conditions, la collectivité territoriale ne saurait se prévaloir ni de la méconnaissance du principe de loyauté dans les relations contractuelles ni du principe selon lequel une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas pour soutenir que la créance de la société est sérieusement contestable ».
(CE, 25 janvier 2019, Société Self Saint-Pierre-et-Miquelon, req. n° 423331)
ou encore
« Il résulte de l’instruction que la société Dodin Guadeloupe, mandataire, a adressé le projet de décompte final du groupement le 23 avril 2018 au représentant du pouvoir adjudicateur et à la maîtrise d’oeuvre, lesquels l’ont reçu le 26 avril 2018. Cette transmission, intervenue après la réception des travaux du 21 décembre 2017, alors même qu’elle avait été prononcée avec des réserves, a fait courir, en application de l’article 13.4.4, les délais prévus à l’article 13.4.2. Par un courrier du 1er juin 2018, dont elle soutient sans être contredite qu’il a été reçu le même jour, cette société a adressé au représentant du pouvoir adjudicateur un projet de décompte général. Faute pour le maître d’ouvrage d’avoir notifié le décompte général dans un délai de dix jours, le projet de décompte général transmis par la société Dodin Guadeloupe est devenu le décompte général et définitif du marché. Ce décompte général et définitif fait apparaître, s’agissant de la société Sogetra, un solde à régler de 107 504,93 euros. Dans ces conditions, l’obligation dont se prévaut la société Sogetra doit être regardée comme non sérieusement contestable. Il suit de là que la société Sogetra est fondée à demander la réformation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu’elle n’a pas fait droit à ses conclusions tendant à l’octroi d’une provision au-delà de la somme de 47 882,10 euros ».
(CE, 8 décembre 2020, n° 437983)
Le risque financier est, ainsi, grand pour le maître d’ouvrage. Notre conseil d’expert en droit public est donc d’être tout particulièrement vigilant dans la procédure d’établissement du décompte général et définitif.
Récemment, nous avons obtenu, sur ce fondement, l’exécution d’un décompte général et définitif tacite (TA Montpellier, 13 janvier 2022, n° 2102231 et 2102232).
Et si le décompte général et définitif n’est pas encore établi
De jurisprudence constante, le référé provision peut s’avérer d’une grande utilité tant pour l’acheteur public que le titulaire du marché :
« Considérant que si l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l’établissement du décompte définitif, détermine les droits et obligations définitifs des parties, cette règle ne fait toutefois pas obstacle, eu égard notamment au caractère provisoire d’une mesure prononcée en référé, à ce qu’il soit ordonné à l’une des parties au marché de verser à son cocontractant une provision au titre d’une obligation non sérieusement contestable lui incombant dans le cadre de l’exécution du marché, alors même que le décompte général et définitif n’aurait pas encore été établi ».
(CE, 2 juin 2004, Commune de Cluny, n° 230729)
Autrement dit, le Conseil d’État admet la demande de provision au titre d’une obligation contractuelle incontestable alors même que le décompte général et définitif n’est pas établi.
Bien évidemment, dans la mesure où, dans cette hypothèse, aucun décompte général et définitif n’est établi, le caractère non sérieusement contestable de la créance doit être démontré et fera l’objet de vifs débats au cours de l’instruction du référé provision.
Il n’en demeure pas moins qu’un tel référé est recevable.
Pour mettre toutes les chances de succès de son côté, il est, donc, primordial de disposer de preuves permettant de soutenir de manière indiscutable le caractère non sérieusement contestable de la créance objet de la requête en référé provision.
Le rapport d’un expert judiciaire peut s’avérer sur ce point très utile.
L’établissement du décompte est une étape cruciale et stratégique dans l’exécution d’un marché public.
Le maître d’ouvrage ou le titulaire du marché engagent en quelque sorte leur responsabilité financière dans le décompte et jouent leur propre partition pour défendre au mieux leurs intérêts financiers.
Par conséquent, dans la mesure où les délais de naissance du décompte général et définitif sont stricts et extrêmement brefs, notre conseil d’avocats experts en contrat de la commande publique est d’être, en la matière, très vigilant en se notant bien toutes les échéances pour éviter de se voir opposer :
- – pour le maître d’ouvrage : un décompte général et définitif tacite ;
- – pour le titulaire du marché : un décompte général et définitif exprès en raison de l’absence de réclamation dans les délais.