Les réseaux sociaux occupent, désormais, une place prépondérante dans la vie publique et politique locale, de sorte que le droit s’y immisce toujours plus. Si nous savons que le droit d’expression des élus d’opposition, consacré à l’article 2121-27-1 du code général des collectivités territorial, s’est adapté aux réseaux sociaux (sur cette question spécifique, voir notre article ici), le juge administratif applique les obligations d’impartialité liées à la passation d’un contrat de la commande publique aux réseaux sociaux (TA Montreuil, 12 janvier 2024, n° 2315368).
Autrement dit, la communication sur les réseaux sociaux autour d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique doit nécessairement s’inscrire dans le respect du principe d’impartialité.
Commande publique et exigence d’impartialité
Le principe général d’impartialité
Au nom du principe d’impartialité, toutes personnes intéressées par une procédure administrative doit s’abstenir de toute prise de position publique qui serait de nature à compromettre le respect du principe d’impartialité, autrement dit qui serait de nature à mettre en évidence un parti pris ou un manque d’objectivité :
« En second lieu, le principe d’impartialité, qui garantit aux administrés que toute autorité administrative, individuelle ou collégiale, traite leurs affaires sans préjugés ni partis pris, doit être respecté durant l’intégralité de la procédure d’instruction et de délivrance d’un permis de construire et s’impose à toute autorité administrative, notamment aux membres de ces autorités, qui doivent s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe » (TA Amiens, 8 décembre 2022, n° 2102509 en ce sens également CE, 16 décembre 2019, n° 422672 ; CAA Marseille, 26 mai 2023, n° 21MA04856).
Le principe d’impartialité dans la commande publique
L’obligation d’impartialité entretient un lien fort avec le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique, consacré à l’article L3 du code de la commande publique :
« Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code.Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».
Plus précisément, au nom du principe d’impartialité, l’acheteur public ou l’autorité concédante se doit de :
« exclure de la procédure de passation d’un contrat de concession les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d’intérêts, lorsqu’il ne peut y être remédié par d’autres moyens ».
(articles L. 2141-10 et L. 3123-10 du code de la commande publique)
Il est admis de manière constante que :
« Le principe d’impartialité, principe général du droit, s’impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative. Sa méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ».
(CE, 28 février 2023, n° 467455).
Dans son ordonnance 12 janvier 2024, le Tribunal administratif de Montreuil s’inscrit dans ce contexte jurisprudentiel.
Ainsi, le Tribunal souligne que :
- – « Le principe d’impartialité s’impose aux autorités chargées de l’attribution d’une délégation de service public, comme à toute autorité administrative » ;
- – « le rôle éminent reconnu à la commission prévue à l’article L. 1411-5 de ce même code, que ce soit au stade de l’admission des candidatures, de l’engagement éventuel d’une phase de négociation ou de l’évaluation des offres, impose que ses membres, alors même que leur liberté d’expression, s’ils ont la qualité d’élu, est garantie, s’abstiennent, pendant la durée de la procédure, de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe d’impartialité » (TA Montreuil, 12 janvier 2024, n° 2315368).
Autrement dit, un élu, membre de la commission chargée d’analyser les dossiers de candidature et de dresser la liste des candidats admis à présenter une offre, doit, en principe, s’abstenir de toute prise de position publique de nature à créer un doute quant au respect du principe d’impartialité dans le cadre de la procédure d’analyse des candidatures et offres.
Par conséquent, dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique, le droit d’expression des élus, garanti par ailleurs, ne saurait porter atteinte au principe d’impartialité qui doit prévaloir.
Même sur les réseaux sociaux, communiquer sans limite sur la procédure de passation : le risque d’atteinte au principe d’impartialité
Dans son ordonnance, le Tribunal administratif de Montreuil identifie une atteinte au principe d’impartialité sur les réseaux sociaux qui justifie l’annulation pure et simple de la procédure de passation de la délégation de service publique relative à la gestion du marché forain.
Pour conclure à cette atteinte, le Tribunal est particulièrement pédagogique, exposant parallèlement, d’une part, la chronologie de la prise de parole sur les réseaux sociaux et, d’autre part, la chronologie de la procédure de passation.
Ainsi, le Tribunal relève que l’élu, président délégué de la commission de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales en qualité de représentant du maire pour la procédure, s’est exprimé, le 7 août 2023, dans un commentaire sur le réseau social Facebook pour remettre directement en cause la gestion actuelle du marché municipal.
Or, justement, ce commentaire public sur un réseau social est intervenu quelques jours avant la date limite de remise des candidatures et visait, selon le Tribunal, directement les conditions de gestion de la concession de service public en cours de passation et dont l’un des deux candidats, la société requérante, était concessionnaire.
Les réseaux sociaux sont, donc, appréhendés comme tout autre support de communication de l’acheteur public, de l’autorité administrative.
Dans ce contexte, pour le Tribunal, cette critique directe et incontestable de l’actuel concessionnaire, par le Président délégué de la commission de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales constitue une atteinte à l’impartialité de cette commission. Et peu importe que cette impartialité apparaissent dans un commentaire d’une publication sur un réseau social.
Manquement au principe d’impartialité et annulation de la procédure de passation
La violation du principe d’impartialité se suffit à elle-même pour emporter annulation de la procédure de passation …
La partialité avérée est un vice d’une particulière gravité de sorte qui se suffit à lui-même :
« l’arrêt est suffisamment motivé, n’a ni inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu’eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d’impartialité était par elle-même constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat à l’exclusion de toute autre mesure » .
(CE, 25 novembre 2021, n° 454466 ou encore TA Versailles, 6 juillet 2022, n° 2204709).
En raison de cette autonomie, il n’est pas nécessaire de démontrer un quelconque conflit d’intérêt :
« l’existence d’une atteinte au principe d’impartialité n’implique pas la démonstration de l’existence d’un conflit d’intérêt ».
(TA Montreuil, 12 janvier 2024, n° 2315368).
Le manquement au principe d’impartialité, même sur les réseaux sociaux, est susceptible d’emporter, comme en l’espèce, l’annulation de procédure de passation.
… sous réserve de démontrer la lésion en lien avec le manquement à l’impartialité
Bien évidemment, le vice d’impartialité est susceptible d’emporter l’annulation de la procédure si et seulement si le requérant démontre que ce défaut d’impartialité est susceptible de l’avoir lésé.
En l’espèce, pour le Tribunal, l’écart de points entre les deux entreprises candidates, limité à 4,5 points sur 100 points, lèse nécessairement la société requérante, de sorte que l’annulation de la procédure de passation est, ainsi, justifiée et inévitable.
Notre conseil : garder le silence même sur les réseaux sociaux pendant la procédure de passation d’un contrat de la commande publique
Cette ordonnance rappelle ainsi l’importance de l’exigence d’impartialité qui pèse sur les autorités publiques, notamment, lors de la passation des contrats de la commande publique.
Tout manquement à ce principe d’impartialité qui doit toujours guider l’action publique est susceptible d’entraîner l’annulation de la procédure de passation et l’ordonnance, ici analysée, en est un exemple frappant.
Notre conseil pratique est, dans ces conditions, extrêmement simple : toute personne, représentant l’acheteur public, doit garder le silence tout au long de la procédure de passation du contrat de la commande publique. Face au risque d’une communication hasardeuse sur la procédure de passation et son contexte, il est plus prudent de se taire.