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Action du maître d’ouvrage contre les constructeurs : la prescription décennale s’applique

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la prescription décennale s’applique à l'action du maître d’ouvrage contre les constructeurs

La réponse à la question du délai de prescription applicable à une action introduite par le maître d’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants n’était pas si évidente.

Mais par un arrêt du 12 avril 2022, le Conseil d’État vient de trancher et apporte une réponse claire, dénuée de toute ambiguïté : la prescription décennale s’applique (CE, 12 avril 2022, n° 448946).

Données de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État du 12 avril 2022

Dans le cadre de l’opération de construction d’un musée, le département de la Vendée a été condamné à verser 660 218,26 euros à une société titulaire du lot n° 5 « Charpente métallique ».

Cette somme correspondait à des travaux supplémentaires couvrant des surcoûts résultant de la réalisation de plans d’exécution et de notes de calcul hors contrat et des surcoûts générés par la modification du plan constructif initial.

Le maître d’ouvrage estimant que ces surcoûts étaient exclusivement imputables à des manquements de la maîtrise d’œuvre, a donc très logiquement engagé sa responsabilité en saisissant le juge administratif.

Si le jugement de première instance rejette la demande de la maîtrise d’ouvrage, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que l’action du département de la Vendée n’est pas prescrite :

« L’action en responsabilité contractuelle du département de la Vendée étant dirigée contre certains des membres du groupement de maîtrise d’œuvre, ayant la qualité de constructeurs au sens de ces dispositions, est applicable à cette action le délai de prescription de dix ans prévu par les dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil. A la date de réception des travaux, le 30 juin 2005, il résultait des principes dont s’inspirait l’article 2262 du code civil, que l’action du maître d’ouvrage tendant à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle des constructeurs se prescrivait par trente ans. La loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ayant réduit la durée de la prescription applicable à l’espèce, le délai de dix ans prévu à l’article 1792-4-3 du code civil précité doit courir à compter du 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de cette loi. Ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner les éventuelles causes suspensives ou interruptives du cours de la prescription, la créance du département de la Vendée à l’égard des membres du groupement de maîtrise d’œuvre, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, n’était pas prescrite le 28 février 2017, date de l’enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Nantes ».

(CAA Nantes, 20 novembre 2020, n° 19NT02575)

Autrement dit, la Cour administrative d’appel de Nantes juge, par conséquent, d’une part, que le délai de prescription de dix ans, introduit par la réforme de la prescription du 17 juin 2008, s’applique à l’action en responsabilité introduite par le maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs.

D’autre part, le point de départ de la prescription, à prendre en compte en l’espèce, est la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

C’est dans ce contexte judiciaire, qu’un des membres du groupement de maîtrise d’œuvre, condamné à verser au département de la Vendée la somme de 660 218,26 euros avec intérêts, a saisi le Conseil d’État.

Délais de prescription entre constructeurs et contre les constructeurs ou sous-traitants

Dans son arrêt du 12 avril 2022, en se référant aux dispositions du code civil, le Conseil d’État précise le champ d’application de la prescription.

En premier lieu, aux termes de l’article 2224 du code civil

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». 

Ainsi, le Conseil d’État en déduit que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève de ces dispositions de droit commun.

Ce recours se prescrit, en conséquence, par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En revanche et, en second lieu, au visa de l’article 1792-4-3 du code civil qui dispose que :

« En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux »

Le Conseil d’État juge que ces dispositions ont vocation à s’appliquer aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants.

Pour justifier cette position, le Conseil d’État souligne que ce nouvel article 1792-4-3 du code civil figure dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérées dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie.

Un délai de prescription de 10 ans même s’il n’est pas question de mettre en jeu la garantie décennale des constructeurs. 

Il en est donc déduit que la prescription décennale s’applique à l’action du maître d’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants.

La prescription de droit commun ne joue, donc, pas.

Étant précisé que ce délai de prescription de dix ans s’applique alors même que l’action judiciaire « ne concerne pas un désordre affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination ».

L’appropriation par le Conseil d’État d’une jurisprudence de la Cour de cassation

Ici, le Conseil d’État s’aligne utilement sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 16 janvier 2020 a jugé que  

« Attendu que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que devra supporter chaque responsable ;

Attendu que la Cour de cassation a jugé qu’une telle action, qui ne peut être fondée sur la garantie décennale, est de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés et de nature quasi-délictuelle s’ils ne le sont pas (3e Civ., 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23) ;

Attendu que le délai de la prescription de ce recours et son point de départ ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du code civil ; qu’en effet, ce texte, créé par la loi du 17 juin 2008 et figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants ; qu’en outre, fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur pourrait avoir pour effet de priver le premier, lorsqu’il est assigné par le maître de l’ouvrage en fin de délai d’épreuve, du droit d’accès à un juge ; que, d’ailleurs, la Cour de cassation a, dès avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, jugé que le point de départ du délai de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur n’était pas la date de réception de l’ouvrage (3e Civ., 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23) ;

Attendu qu’il s’ensuit que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil ; qu’il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » .

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 janvier 2020, 18-25.915).

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