La question de la compétence juridictionnelle pour traiter des actions en responsabilité contre le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) est complexe et dépend des hypothèses envisagées. Ce sujet revêt une importance particulière, car il touche à la réparation des préjudices causés soit par des mineurs pris en charge, soit par les fautes commises par les services du Département dans le cadre de l’accompagnement administratif.
Deux situations principales doivent être distinguées :
- 1- La réparation des préjudices causés à des tiers par un mineur pris en charge par l’ASE.
- 2- La réparation des préjudices nés des fautes commises par l’ASE dans le cadre de son accompagnement administratif.
La compétence du juge administratif pour la réparation des dommages causés aux tiers
Un régime de responsabilité sans faute
Le principe général est que la responsabilité du Département peut être engagée pour réparer les dommages causés par un mineur pris en charge par l’ASE.
Cette responsabilité découle du transfert de l’organisation, de la direction et du contrôle de la vie du mineur au Département, que le placement de ce mineur ait été ordonné par le juge ou demandé par les parents (CE, 26 mai 2008, Département des Côtes d’Armor, n°290495).
Même lorsque le mineur est hébergé par ses parents, la responsabilité du Département peut être engagée si la mission éducative n’a pas été interrompue ou suspendue (CE, 3 juin 2009, n°300924). Le Conseil d’État exige une prise en charge durable et globale pour qu’il y ait transfert de responsabilité (CE, Section, 1er juillet 2016, n°375076).
En tout état de cause, le régime applicable est celui de la responsabilité sans faute, c’est-à-dire que le Département peut être tenu responsable même en l’absence de faute.
Les causes exonératoires
Deux causes seulement peuvent exonérer le Département de sa responsabilité :
- – La force majeure.
- – La faute de la victime.
Notamment, le placement du mineur au sein d’un organisme privé n’écarte pas la responsabilité du Département (CE, 26 mai 2008, Département des Côtes d’Armor, n°290495 ; voir aussi TA Lille, 4 octobre 2023, n° 2105402).
La compétence du juge judiciaire pour les fautes commises dans l’accompagnement administratif
Une compétence du juge judiciaire exclusive et établie
La responsabilité du Département peut être recherchée en raison de fautes commises par l’ASE dans l’accompagnement administratif des mineurs confiés par le juge des enfants. Dans ces situations, la compétence juridictionnelle appartient exclusivement au juge judiciaire, comme l’a confirmé le Tribunal des conflits dans ses décisions du 15 mai 2023 (TC 15 mai 2023, n° C4271 et TC, 15 mai 2023, n° C4272).
Même si les fautes reprochées à l’administration sont antérieures à la décision de placement, ces fautes sont considérées comme non détachables des obligations assumées par l’ASE dans le cadre de la mission d’assistance éducative confiée par le juge :
« A supposer que le fait d’avoir alerté le procureur de la République et sollicité le placement provisoire, en urgence, de sa fille C…, puis, selon Mme B…, d’avoir méconnu son droit à l’information, faute de lui avoir transmis le rapport annuel d’évaluation pluridisciplinaire, d’avoir porté atteinte au principe d’égalité entre les deux parents, et d’avoir rendu plus difficile le maintien de ses relations avec sa fille pendant la période où cette dernière était placée par décision du juge des enfants, soient constitutifs de fautes, celles-ci, en ce compris le fait d’avoir signalé la situation au procureur de la République, ne sont pas détachables des obligations que le service de l’aide sociale à l’enfance assume dans l’exercice de la mission d’assistance éducative qui lui a été confiée par le juge des enfants sur ce mineur. Il en résulte qu’il appartient à la juridiction judiciaire d’en connaître ».
(TC, 11 mars 2024, n° C4300).
Le régime de responsabilité applicable : la faute lourde ?
En vertu de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, la responsabilité du service public de la justice n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice.
Bien que cette question n’ait pas été directement tranchée par la jurisprudence à notre connaissance, le lien établi par le Tribunal des conflits entre les fautes de l’ASE et le service public de la justice plaide en faveur de l’application de ce régime.
Une première interprétation jurisprudentielle est attendue prochainement, notamment par la Cour d’appel de Paris.
Conclusion
Le contentieux de la responsabilité des services de l’aide sociale à l’enfance illustre la complexité du partage de compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. Tandis que le premier intervient pour les dommages causés à des tiers, le second est seul compétent pour les fautes commises dans l’exécution des missions confiées par le juge des enfants.
Cette dualité reflète la spécificité des missions de l’ASE et leur interaction avec le service public de la justice, tout en posant des questions sur les régimes de responsabilité applicables.